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meurer au mouillage dans sa boutique au milieu de ses tonnes !…

— Laisse-le remuer la langue, Ollive, répondit le capitaine Bourcart. Des mots que tout cela !… Jean-Marie Cabidoulin n’en est pas moins un brave homme ! »

Dans l’après-midi, le Saint-Enoch louvoyait sous bonne brise à quatre milles d’Akaroa, lorsqu’une première baleine fut signalée par le harponneur Louis Thiébaut.

Il était deux heures, et ce cétacé de forte taille soufflait à courte distance.

M. Bourcart fit aussitôt mettre en panne. Puis, deux des quatre pirogues furent amenées, celle du premier lieutenant Coquebert et celle du second lieutenant Allotte. Ces officiers y descendirent et se placèrent à l’arrière. Les harponneurs Durut et Ducrest se tinrent à l’avant sur le tillac. Un des matelots prit la godille, et quatre hommes étaient aux avirons.

Avec la passion qui les animait, les deux lieutenants arrivèrent presque en même temps à portée d’amarrer la baleine, c’est-à-dire de lui lancer le harpon.

À ce harpon est attachée une ligne, mesurant environ trois cents brasses qui est soigneusement lovée dans une baille placée à peu près au milieu de l’embarcation, de façon que rien ne gêne son filage.

Les deux harponneurs envoyèrent leurs harpons. Atteinte au flanc gauche, la baleine s’enfuit avec une extrême rapidité. À cet instant et malgré toutes précautions, la ligne du lieutenant Coquebert s’embrouilla et on fut obligé de la couper. Romain Allotte resta seul sur l’animal, dont son camarade, non sans regret, dut abandonner la poursuite !

Cependant la pirogue, irrésistiblement entraînée, volait à la surface des lames, tandis que la godille la maintenait contre les embardées. Lorsque la baleine sonda, autrement dit plongea pour la première fois, on lui fila de la ligne, en attendant qu’elle reparût à la surface.

« Attention !… attention ! cria le lieutenant Allotte. Dès qu’elle reviendra, une lance à vous, Ducrest, et à moi l’autre…

— On est paré, lieutenant », répondit le harponneur, accroupi sur le tillac.

À bord des pirogues, il est d’usage de toujours avoir à tribord, en même temps que deux harpons de rechange, trois lances affilées comme des rasoirs. À bâbord sont disposés la gaffe et le louchet qui sert à couper les artères de la baleine lorsqu’elle court avec une telle rapidité qu’il serait impossible de garder sa remorque, sans compromettre la sécurité de l’embarcation. Alors, disent les gens du métier, on « la travaille à la lance ».

Jules Verne.

(La suite prochainement.)



L’ÉMERAUDE DU PHARAON


I


Ce fut un gros événement dans tout le bourg de Ribagnac lorsqu’on apprit que le fils aîné de Vincent, des Borderies, entrait au service de M. le baron en qualité de secrétaire et de compagnon de voyage…

Il avait bien de la chance, ce Vincenou !…

Courir le monde, habillé de neuf, sans se préoccuper de son pain du lendemain, n’était-ce pas cent fois préférable à ce rude métier de laboureur qui vous rive à la terre, comme un galérien à son boulet !

Le père Vincent ne fut pas aussi ravi de la bonne fortune de son fils qu’on aurait pu le penser ; il appartenait à cette vieille race de paysans qui se font gloire d’être libres, de ne dépendre de personne, et cette domesticité, déguisée sous un titre flatteur, ne lui allait qu’à demi !…