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Saint-Enoch effectuait son retour et devait y trouver le placement d’une partie de la cargaison.

Il n’y eut donc pas lieu de prendre contact avec la terre. Aussi le trois-mâts contourna-t-il l’extrême pointe de l’Afrique, dont les dernières hauteurs lui restèrent à cinq milles sur bâbord.

Ce n’est pas sans raison que le cap de Bonne-Espérance s’était appelé primitivement le cap des Tempêtes. Cette fois, il justifia son ancien nom, bien que, dans l’hémisphère méridional, on fût en pleine saison d’été.

Le Saint-Enoch eut à supporter de redoutables coups de vent, qui l’obligèrent à tenir la cape. Toutefois il s’en tira, avec un léger retard et quelques avaries sans grande importance, dont Jean-Marie Cabidoulin n’aurait pu mal augurer. Puis, après avoir profité du courant antarctique qui se dirige vers l’est avant de s’infléchir dans le voisinage des îles Kerguelen, il continua sa navigation dans des conditions favorables.

Ce fut le 30 janvier, un peu après le lever du soleil, que l’une des vigies, Pierre Kardek, cria des barres de misaine :

« Terre sous le vent ! »

Le point du capitaine Bourcart le plaçait sur le soixante-seizième degré de longitude à l’est du méridien de Paris et sur le trente-septième degré de latitude sud, c’est-à-dire dans le voisinage des îles Amsterdam et Saint-Paul.

À deux milles de cette dernière, le Saint-Enoch mit en panne. Les pirogues du second Heurtaux et du lieutenant Allotte furent envoyées près de terre avec lignes et filets, car la pêche est généralement fructueuse sur les côtes de cette île. En effet, dans l’après-midi, elles revinrent avec un chargement de poissons de bonne qualité et de langoustes non moins excellentes, qui fournirent le menu de plusieurs jours.

À partir de Saint-Paul, après avoir obliqué vers le quarantième parallèle, enlevé par une brise qui lui assurait de soixante-dix à quatre-vingts lieues par vingt-quatre heures, le Saint-Enoch, dans la matinée du 15 février, eut connaissance des Snares, à la pointe sud de la Nouvelle-Zélande.


III

Sur la côte est de la Nouvelle-Zélande


Depuis environ une trentaine d’années, les baleiniers exploitent ces parages de la Nouvelle-Zélande où la pêche est particulièrement fructueuse. À cette époque, c’était peut-être la partie du Pacifique dans laquelle les baleines franches se montraient en plus grand nombre. Seulement elles y sont dispersées, et il est rare de les rencontrer à courte distance du navire. Toutefois, le rendement de cette espèce de cétacés est si avantageux que les capitaines ne veulent pas regarder aux fatigues ni aux dangers que comporte cette capture.

C’est ce que M. Bourcart expliquait au docteur Filhiol, lorsque le Saint-Enoch arriva en vue de Tawai-Pounamou, la grande île méridionale du groupe néo-zélandais.

« Certes, ajouta-t-il, un bâtiment comme le nôtre, si la chance le favorisait, pourrait faire ici son plein en quelques semaines… Mais il faudrait que le temps fût constamment beau, et, sur ces côtes, on est à la merci de coups de vent quotidiens, qui sont d’une violence extrême.

— N’y a-t-il pas de ports dans lesquels il est facile de se réfugier ?… demanda M. Filhiol.

— Oui, sans doute, mon cher docteur, et rien que sur le littoral de l’est se trouvent Dunedin, Oamaru, Akaroa, Christchurch, Blenheim, pour ne citer que les principaux. Mais enfin ce n’est pas au milieu des ports que les souffleurs viennent prendre leurs ébats et on doit les aller chercher à quelques milles au large…

— N’importe, capitaine, ne comptez-vous pas relâcher dans l’un d’eux avant de mettre votre équipage à la besogne ?…

— C’est mon intention… deux ou trois