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COLETTE EN RHODESIA

peut-être de bonne guerre ! Du moment que la bataille est engagée, la question importante est de vaincre, et comment le soldat vaincra-t-il s’il ne croit pas que l’ennemi a mérité sa colère ? que lui-même a quelque chose à venger ? Il ne faut pas montrer trop d’équité envers son adversaire, sous peine d’être dupe, tant qu’on n’est point assuré d’être traité de même dans le camp adverse, et Dieu sait sous quelles couleurs nous sommes peints dans les rangs des Boers, pour ne rien dire des contes à dormir debout que font sur nous tous les journaux européens !…

Au surplus — et quelles que soient les paroles vaines dites de part et d’autre, quelle que soit ma sincère admiration pour la vaillance du Boer, ma pitié pour son triste sort, je n’ai pas besoin de vous dire que nous vaincrons. De cela, je suis parfaitement assurée. En douter une minute, c’est montrer la plus profonde ignorance des fails. Notre pouvoir, nos ressources sont incalculables. Personne, même ici, n’en connaît les limites. Rome elle-même n’a jamais été aussi forte que nous. Nous sommes invincibles : invincibles par notre position inexpugnable, par nos richesses sans fond, par nos vertus guerrières, par notre patriotisme ardent, par une gloire militaire sans précédent. Où vit-on un autre peuple qui n’ait jamais connu la défaite ? Quand Albion a-t-elle été battue, sinon par ses propres enfants ? À part la défection de sa fille, l’Amérique — ce qui était proprement une querelle de famille — l’Angleterre ne s’est jamais laissé arracher, par la force des armes, un pouce de territoire, n’a jamais signé un traité honteux… Et nous serions mis en échec par une poignée de paysans ? Allons donc !

Assurément, la lutte sera dure. L’événement a trompé notre attente ; la poignée de paysans est plus difficile à réduire qu’on n’aurait cru… Eh bien, après ? La victoire sera plus glorieuse, voilà tout. La lutte sera longue ? Que nous importe ? John Bull a les reins solides et la dent dure ; si dure et si tenace qu’il ne pourrait l’arracher de sa proie, le voulût-il lui-même, avant de l’avoir réduite à merci.

Pour ce qui est de la question de droit que nous jettent gravement à la figure des voisins vertueux, lesquels sans doute n’ont jamais entendu parler chez eux d’une guerre de conquête, je ne m’en occupe pas, je ne veux pas m’en occuper. Je connais par cœur l’apologue du « champ de Naboth », qu’on nous sert quotidiennement, et j’en sens tout le sel. Mais, outre qu’en y regardant de bien près, on trouverait difficilement dans le monde une nation ou une famille illustre qui n’ait son champ de Naboth, il n’est plus temps, aujourd’hui, d’aller chercher en cette affaire qui a raison, qui a tort. Des torts, des griefs, des insultes et réclamations, il y en a de part et d’autre pleine mesure ; et quand même un nouveau Salomon parviendrait à débrouiller le procès, à quoi cela servirait-il ? La lutte est trop profondément engagée pour que l’un ou l’autre parti cède devant une autre cause que celle d’épuisement absolu, et vers cette condition les pauvres Boers marchent à grands pas…

Je les plains ! Certes, je suis prête à prendre ma carabine, à me joindre à Fairfield demain — si les autorités le permettent — à leur faire tout le mal que je pourrai ; et ce n’est pas à vous, Colette, qu’il faut expliquer que cette disposition est conciliable avec la plus sincère pitié. Oui, je garderai toujours une place sacrée dans mon cœur à la touchante figure de jeune guerrière qui, après avoir combattu comme Bradamante, descendit de son kopje pour venir avec une pitié d’ange donner à boire au blessé. Sainte fille ! Mon frère, qui est peu démonstratif, ne peut entendre sans émotion nommer Nicole Mauvilain… Je sais qu’elle a parmi vous plus que des fidèles, et je gémis de penser aux dangers qui l’entourent, aux douleurs qui l’attendent. Quoi qu’il advienne, elle et les siens auront toujours la douceur d’avoir fait jusqu’au bout leur devoir : la meilleure consolation du vaincu !…

Theodora.


« Je vais maintenant, dit Colette, après avoir lu cette lettre en famille, vous faire entendre celle que je reçois de Nicole. Surtout mises côte à côte, ces deux lettres sont typiques.