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DE GRANVELLE

« Et je me mets à lui conter ce qu’avait rêvé l’oncle Charlot, et que M. Pierre et Mlle Gaby avaient l’air de si bien s’entendre que l’oncle se croyait déjà à la noce, et tout le reste…

« — Voilà donc pourquoi ma cousine a pleuré… Ah ! les braves cœurs qui se sacrifiaient pour moi ! J’y vais mettre bon ordre, rassurez-vous », s’écrie le comte de Trop.

« Et il part en courant.

« Comment s’y est-il pris, je n’en sais rien, ni personne…

« Le soir, M. Pierre et lui ont eu une grande explication. Puis, le lendemain, le comte de Trop est rentré à son régiment.

« Alors ont eu lieu les vraies fiançailles ! Malgré les peines de la vie prévues par bonne maman, à celles-là personne n’a pleuré !

« M. Pierre et Mlle Gaby se sont mariés au mois d’août suivant, vous vous le rappelez, Catherinette : je vous l’ai écrit.

« M. Nochard est venu de Vendée pour assister à la noce, et M. Marc a été garçon d’honneur avec Mlle Blanche.

Il avait été admis à Saumur le mois précédent.

« Elle paraissait si fière et si ravie d’être au bras de son cousin, Mlle Blanche ! Ils ont passé les vacances à la Foussotte. La moitié du temps, ils étaient chez nous pendant le voyage de noce de M. et Mme Pierre, et on voyait qu’ils s’aimaient bien.

« Savez-vous par où M. Marcenay a ramené sa femme ? Par la Bretagne. Ils ont choisi ensemble, l’emplacement où sera construit le sanatorium projeté.

« C’est le comte de Trop et sa fiancée qui ont été parrain et marraine de la petite chérie née il y a deux mois.

« Oh ! Catherinette ! quel trésor que cet amour de petite fille ! Jusqu’à la vieille dame qui en raffole, si bien qu’elle en a oublié presque ses maux d’estomac.

« On l’a nommée Marie-Blanche-Hélène : et c’est le nom d’Hélène qu’elle portera…

« Lorsque M. Pierre me l’a dit en la déposant sur mes genoux, à mon arrivée, l’autre jour, j’ai été tout saisi. Je l’ai regardé sans rien répondre ni demander…

« Mais il faut croire que mes yeux ressemblaient à deux points d’interrogation… Il a ajouté tout de suite en caressant les cheveux dorés de la mignonne :

« — C’est un nom qui doit te plaire, puisque c’était celui de ta mère, Greg. Mais il a existé une autre personne qui s’appelait ainsi… Celle-là ! il faut absolument qu’elle protège ma fille pour que la chérie soit heureuse… »

« J’ai pensé :

« — N’ayez crainte ! Il y a quelqu’un qui le lui demandera soir et matin, toute sa vie… »

« Mais je ne pouvais pas le dire, n’est-ce pas, Catherinette ?…

« Mme et M. Marc Aubertin vont habiter Lyon ; c’est dans cette ville qu’est le régiment du comte de Trop ; — il n’a pas perdu son nom dans la famille, encore qu’il n’y ait plus aucun droit, — fit Greg en riant.

« L’année prochaine, on posera la première pierre du sanatorium que M. Marcenay et lui ont décidé de fonder là-bas, où est né mon grand-père et sous son nom, afin de réhabiliter sa mémoire.

« Nous avons comploté quelque chose avec Mlle Jeanne, qui, elle, veut être sœur hospitalière. Elle entrera à l’hôpital de Beaune, et, une fois professe, obtiendra d’essaimer à Rokyver avec vous et quelques religieuses, pour m’aider à soigner nos petits malades.

— Cela pourra se faire, murmura Catherinette Dortan ; en tout cas, ce n’est pas moi qui y contredirai. »

Greg releva la tête, un rayonnement attendri dans ses yeux noirs, en reprenant :

« Lorsque le nom calomnié de Jean-Baptiste Legonidec brillera en lettres d’or au fronton du sanatorium fondé en partie avec l’argent qui lui eût appartenu, et que moi, son petit-fils, par la protection de mon père adoptif, — je peux bien appeler M. Marcenay ainsi après ce qu’il a fait pour moi, — je serai devenu le médecin de ces petits enfants qui apprendront à vénérer le nom de mon grand-père, c’est alors que tout sera pardonné, oublié, réparé, dites ? Catherinette… »


P. Perrault
FIN