Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
368
DE GRANVELLE

« Après qu’elle s’est un peu remise, elle reprend :

« — J’ai de la peine à la pensée que je quitterai Dracy, bonne maman, vous tous…

« Je n’aurais pas cru que l’on pût pleurer quand on se fiançait ; mais bonne maman, qui m’a vu les yeux rouges ce matin, m’a assurée qu’elle avait pleuré toute la nuit, elle, quand on lui avait fait promettre d’épouser mon grand-père, parce que c’est très grave une pareille résolution, et que, après tout, on entre dans une vie nouvelle où beaucoup de peines nous attendent » : ce sont ses propres paroles.

« Vous ne le direz à personne, oncle Charlot, absolument à personne ! que je suis venue vous confier cela et que j’ai encore un peu pleuré. Voilà que c’est fini. Au fond, je suis très contente.

« Ce pauvre Marc… Il m’a dit ce matin, dans sa joie de voir son avenir fixé : « Il y aura donc au monde quelqu’un pour qui je ne serai pas le comte de Trop » !

Greg s’interrompit de faire parler Gabrielle, observant à Catherine Dortan :

« Et moi, je pensais : il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! S’il a jamais été le comte de Trop, c’est bien aujourd’hui.

« Puis, ennuyé à la fin d’avoir l’air d’écouter sans qu’on le sût, je me relève et je vais offrir mes fleurs à Mlle Lavaur.

« — Comment ! ami Greg, tu étais là ? »

« Elle paraissait un peu fâchée ! Je réponds : « oui » de la tête, en larmoyant, mais en larmoyant si fort que ça ressemblait à des beuglements : on aurait dit qu’on m’écorchais. Elle était loin, mon envie de chanter !

« Et pas moyen de me taire : plus j’essayais, plus je criais fort.

« Je me mets à protester :

« — Eh bien, s’il l’a dit, M. Pierre, qu’il fallait que vous épousiez votre cousin, il a menti une fois dans sa vie, et c’est ce jour-là. »

« Et me revoilà à beugler de plus belle. Je crois que ça l’ennuyait, ce que je venais de dire. Elle avait l’air de ne savoir quoi répondre.

« Après avoir embrassé bien fort l’oncle Charlot et pris le bouquet que je lui offrais, elle insista :

« — Je n’ai prévenu personne que je venais ; n’en parlez ni l’un ni l’autre : Marc fera sa visite à Mme Saujon cet après-midi. »

« Bien vite elle se sauva.

« Moi, je beuglais toujours.

« Ainsi, c’est son cousin qu’elle allait épouser !… Voilà surtout ce qui me mettait en fureur, car, si je l’eusse appris à temps, il y aurait eu du remède.

« J’en vins à ne plus pouvoir tenir ma langue. Me plantant droit devant l’oncle Charlot, que cette nouvelle paraissait avoir pétrifié, tant il restait immobile et muet, je lui dis :

« — C’est un malheur ! et un malheur pour tout le monde, que ce mariage-là. Je sais, moi, qui M. Marc aurait dû épouser. Il n’aurait pas été « le comte de Trop » pour elle !

« Oui, je le sais. »

« L’oncle Charlot me fit signe de parler.

« — Eh bien, voilà ce que je sais. L’autre jour, quand Mlle Blanche était ici avec sa sœur et qu’elles m’ont appelé pour jouer au croquet, nous avons vu tout à coup arriver M. Marc. Il descendait de voiture devant la maison. On a jeté là les maillets, naturellement.

Et, avant de rejoindre tout le monde au salon, en arrangeant ses cheveux, que le jeu avait pas mal défrisés, Mlle Blanche s’est exclamée :

« — L’uniforme lui va-t-il assez bien ! C’est fâcheux que je n’aie pas voix au chapitre : il ne le quitterait jamais. Quel superbe officier cela ferait ! Et si brave ! »

« Il ne devait pas être encore question de fiançailles avec sa sœur ; en tout cas, elles n’étaient point au courant de ce maudit projet, car Mlle Jeanne a répliqué en riant :

« — Tu es sans cesse à chanter les louanges de Marc ; songerais-tu à l’épouser ? »

« Mlle Blanche est devenue plus rouge qu’une cerise. Et je ne pense pas que ce qu’elle a répondu veuille dire non ; le voici :

« — Cela ne regarde que mon cousin, ma petite. Si tu supposes qu’il tienne à le savoir, dis-lui qu’il s’en informe. »

« — Qu’en pensez-vous, oncle Charlot ? »

« Alors, lui, tout de suite me fait un signe, et commande :