compagnie à l’oncle Charlot ; tâche de le distraire, de l’égayer. »
Le jeune garçon obéit ; mais, tout en s’éloignant, de temps à autre, il tournait à demi la tête, si tourmenté par la pâleur de Pierre, l’altération de ses traits !
« Il y a quelque chose qui le tracasse, et fort, même ! Il se débarrasse de moi en ce moment ; il ne veut pas que je voie qu’il a du chagrin ! Qu’est-ce qu’on peut bien lui avoir fait encore ? Tant de misères déjà qu’il a endurées ! Il serait temps que ça finît ! »
Un dernier regard jeté du côté de Pierre, après avoir franchi les degrés du perron, le lui fit apercevoir s’engageant dans les allées du labyrinthe. Il n’allait donc pas chez bonne maman Lavaur ? Qu’est-ce qui arrivait, Seigneur !
Et il lui fallait égayer l’oncle Charlot. En vérité il y avait l’esprit !
Il entra tout de même…
Pierre était allé s’asseoir sur un banc adossé au mur. Isolé par les sapins et les thuyas qui s’étendaient en rideau devant lui, il pourrait pleurer, on ne le verrait point.
Il resta quelques minutes le front dans ses mains, assommé par la brutalité du coup.
De temps à autre, cette plainte lui montait aux lèvres :
« C’est trop, cette fois, c’est trop… Je ne pourrai pas.
« Voyons donc cette lettre », reprit-il au bout d’un moment.
Un secret espoir lui venait de l’avoir mal comprise. Le tumulte de ses pensées, agitées aux premières lignes parcourues comme un torrent qui déborde, avait pu l’empêcher d’en bien saisir le sens.
C’est une pente de notre nature, cette pitié pour nos maux qui nous fait les nier, jusqu’à ce que notre âme s’y soit accoutumée.
Pierre ne pouvait s’abuser…
Après quelques mots touchant leur récente entrevue, Marc annonçait à son ami que sa marraine avait ainsi préparé son avenir. Il épouserait sa cousine Gabrielle et deviendrait l’associé de son oncle.
Tout se rencontrait dans cette combinaison, bien désintéressée de la part de sa chère et bonne marraine, puisque, à l’époque où elle la préparait, rien ne faisait pressentir son changement de fortune.
Sa lettre éclatait de reconnaissance pour la maternelle affection de « tante Marie », ainsi que Marc avait coutume d’appeler Mme Calixte Lavaur.
Elle avait pensé à tout ; même à mettre un peu de roman dans ce mariage : « concession aux idées que se font les jeunes filles, et Gaby en particulier, sur ce grave événement », avait-elle dit à son neveu.
Leur idylle devait se nouer à Dracy, sous le regard indulgent de sa grand’tante, gagnée à sa cause, « non sans peine », affirmait tante Marie, et enfin définitivement conquise.
Pour Gabrielle, c’était à lui de transformer la très grande amitié qu’elle lui portait depuis l’enfance en un sentiment plus vif et de l’obtenir d’elle-même : le consentement de la famille étant subordonné au sien.
Marc ajoutait :
« De prime abord cela paraît la chose la plus simple, si j’en juge par la rapidité avec laquelle l’évolution s’opère chez moi. Mais il n’en va pas ainsi de ma cousine. Je tremble que, dans son désir de me nommer son fils, tante Marie ne se soit fait illusion.
« Je devine Gabrielle en garde. Vingt fois, durant les quelques jours que j’ai passés près d’elle, l’occasion s’est présentée de parler. Nous nous promenions des heures au jardin, bonne maman assise au bout de l’allée dans sa « niche » d’osier, les pieds au soleil, un reflet des jours pareils de sa jeunesse sur son bon vieux visage, tandis qu’elle nous suivait des yeux… C’était pour m’encourager : eh bien, je n’ai pas soufflé mot !
« Je me sentais intimidé, mais intimidé comme il est ridicule à un homme de l’être, sous le regard clair de Gaby.
« Ils se méfiaient, ces yeux si francs, j’en suis sur ! sûr ! Ils m’avertissaient de ne point m’aventurer à prononcer les mots qu’ils voyaient courir sur mes lèvres.
« Est-ce réserve, cet exquis sentiment qui ajoute tant de charme à la grâce d’une jeune