Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rentrèrent donc au Havre. Cette fois, ce ne fut pas à bord de leur navire !

Cependant, grâce à la vente de la première cargaison à Victoria de Vancouver, la campagne donna des bénéfices, et, quant au Saint-Enoch, la perte en fut couverte par les assureurs. Mais les larmes venaient aux yeux du capitaine, lorsqu’il songeait à son pauvre bâtiment abandonné au pied de la banquise arctique !

En ce qui concerne maître Ollive et maître Cabidoulin, ils s’offrirent réciproquement les bouteilles de tafia et de rhum pariées, gagnées, perdues, au cours du voyage. Et, lorsque le premier dit au second :

« Eh bien… vieux… est-ce que tu y crois toujours ?…

— Si j’y crois… après ce qui nous est arrivé !…

— Ainsi, tu affirmes avoir vu la bête ?…

— Comme je te vois.

— Entends-tu par là que j’en sois une ?…

— Oui… puisque tu ne veux pas y croire !…

— Merci ! »

On le voit, le tonnelier n’a point changé d’opinion. Il persiste à admettre l’existence du monstre, et dans ses sempiternelles histoires revient sans cesse le récit des aventures du Saint-Enoch !…

Mais, qu’on en soit sûr, cette campagne aura été la dernière de Jean-Marie Cabidoulin.


Jules Verne.
FIN

MADAME LA PRINCESSE (Fin.)


Mais cela ne faisait pas le compte des pensionnaires des Douze-Monarques ! Si la vanité et la curiosité avaient été éveillées chez eux à un degré difficile à dire, leurs bons sentiments n’étaient pas demeurés endormis, il est juste de le reconnaître. Un intérêt véritable pour la vieille marchande s’alliait donc à un vif désir de savoir le mot de l’énigme, dans cette exclamation proférée par dix voix :

« Ah ! madame la princesse, pourquoi ne pas tout terminer ici ? la fête serait complète…

— C’est que…

— C’est une bonne œuvre, nous le comprenons ; puisque vous avez daigné nous permettre d’y participer, faites-nous la joie d’en connaître la fin.

— Eh bien ! soit, dit Michel avec autorité. Veuillez vous mettre à cette table, monsieur le notaire, et compléter l’acte que vous avez dressé, en y ajoutant ce qu’il faudra au sujet de l’argent que voilà dans ce bol de Chine qui m’a servi de caisse.

— Et vous nous direz ensuite, fit Annette, ce que nous vous devons pour vos honoraires.

— Rien, madame. Ce sera ma part dans votre œuvre », répondit très gracieusement le tabellion, ce qui lui valut un bon sourire de la jeune fille et une chaude poignée de main de Michel.

Quelques minutes après, il lisait :

« Par devant Me Ducode et son collègue, notaires, à V***, la dame Henriette Mathieu… maisonnette avec jardin sur la route de V*** à C***… ensemble le mobilier… se montant à…

— Passez, monsieur, dit Annette.

— … payés des deniers de…

— Passez, passez, monsieur », fit Michel.

C’est pour le coup qu’on fut sûr que c’étaient des princes.

« … Reconnaissent lesdits notaires avoir reçu, en bonnes espèces et billets ayant cours, pour être convertie en rentes sur l’État, la somme de… Combien ?

— Impossible de le savoir. À chaque instant une nouvelle pièce tombe dans la caisse. Laissez le chiffre en blanc. »

En effet, Georgy ayant vu une dame jeter furtivement un louis dans le bol de Chine, allait de l’un à l’autre, quêtant des pièces qu’il allait ensuite, grimpé sur un tabouret, ajouter aux autres. Le jeu lui semblait amusant et il le renouvelait incessamment ; son manège était si joli que personne ne refusait