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MADAME LA PRINCESSE

La leçon de broderie en resta là pour cette fois ; mais, néanmoins, Mme de Colaho déclara que la princesse était admirable de grâce, d’énergie, de présence d’esprit, de générosité et que ce qui venait de se passer ne laissait aucun doute sur la nature du sang qui coulait dans ses veines. Un murmure flatteur accueillit cette déclaration, et le secrétaire d’ambassade, de plus en plus impénétrable, crut devoir se dérober, par une fuite savante et diplomatique, aux questions nouvelles qu’il sentait prêtes à l’assaillir.

Pendant ce temps, Annette gagnait le salon particulier de Mme Saturnin, où cette remarquable personne écoutait de la bouche même de son mari le récit d’une aussi prodigieuse aventure.

« Si nous demandions au maire quelques agents de police pour protéger les abords de l’hôtel ? dit Mme Saturnin ; cela poserait terriblement les Douze-Monarques ! Les Princes et les Ambassadeurs en crèveraient de jalousie. »

Saturnin, qui est fort intelligent, comprit que sa femme désignait ainsi, pour les vouer au trépas, les propriétaires de deux établissements rivaux ; mais il n’eut pas le temps de faire connaître son sentiment sur la question. Annette était là, le regardant avec encore un peu plus de mépris au fond des yeux, et lui disait :

« Vous aurez soin, monsieur, que tous les matins, à neuf heures, la vieille marchande de fleurs soit conduite à mon appartement.

— Mais, madame, — on conçoit qu’il n’y a pas moyen de donner du « mademoiselle » à une grande-duchesse, quel que soit son incognito, — mais, madame, s’écria Mme Saturnin, Mlle Palmyre pourra…

— Je n’ai pas l’habitude qu’on discute mes ordres dans les hôtels où je descends. Si cela ne vous convient pas, M. François et moi nous vous quitterons dans une heure.

— Il sera fait selon votre désir, madame », riposta Saturnin, épouvanté à l’idée de perdre de pareils clients.

Puis, quand la jeune fille fut partie :

« Eh bien, ma femme, qu’en dis-tu ?

— Je dis, mon cher ami, que, quand on parle aux gens sur ce ton, il est absurde de vouloir leur faire croire qu’on est mademoiselle François tout court. »

À huit jours de là, « la princesse Annette » et son frère annoncèrent leur départ, pour le lendemain, aux hôtes navrés des Douze-Monarques.

« Mesdames et vous, messieurs, dit la jeune fille avec cette grâce souveraine qui la caractérisait, mon frère et moi avons formé le petit complot de vous offrir quelques fleurs aujourd’hui. Une vieille marchande de bouquets, que vous connaissez, va les apporter et nous vous prions de les accepter.

— C’est tout à fait royal, dirent ensemble le comte de Colaho et sa femme.

— Oh ! madame, fit impétueusement une des jeunes Anglaises, permettez-nous de les acheter, ces fleurs…

— Et de nous associer ainsi à une bonne œuvre que nous devinons, interrompit respectueusement le diplomate.

— Bien volontiers. Cette femme, sur qui Michel a pris de minutieux renseignements, est fort malheureuse et digne à tous égards de votre bienveillant intérêt. Tout ce que vous voudrez bien faire pour elle nous fera grand plaisir.

— Il faut organiser une boutique de fleuriste, proposa un ancien préfet, arrivé de la veille.

— Non, une tombola, suggéra quelqu’un.

— Une vente aux enchères vaudrait mieux, fit Mlle d’Almaviva.

— Bravo, bravo, s’écria-t-on de tous les coins du salon, sauf du côté des Colaho. Les enchères !… Y consentez-vous, madame ?

— Qu’en penses-tu, Michel ?

— Acceptons avec reconnaissance. Tout ce qui pourra être bon à Henriette Mathieu doit être bienvenu.

— Voulez-vous me prendre comme expert, madame ? interrogea le bonnetier anglais.

— Je craindrais l’exagération des mises à prix, monsieur.

— Non ; je serai modeste.

— Eh bien, soit. Mais il faut quelqu’un pour annoncer les enchères, un bon crieur…