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DE GRANVELLE

ment adoptée, grâce à l’autorité de son auteur, un chambellan devant, mieux que quiconque, se connaître à ces sortes de choses.

Dès ce jour-là, qui était le surlendemain du concert, la sympathie spontanée qu’inspiraient M. et Mlle François fut doublée d’un profond respect, et M. Saturnin, malgré son grand usage du monde et sa discrétion bien connue, se surprit à répondre : « Oui, monseigneur », à une question du jeune homme.

Le dimanche suivant, il faisait un temps radieux ; les nobles hôtes des Douze-Monarques humaient l’air sur la terrasse centrale, après le déjeuner, et Mlle François, — que, dans les conversations particulières, on nommait « la princesse Annette », de même qu’on appelait son frère « le prince Michel », — était venue se joindre aux autres dames pour apprendre un point de broderie qu’elle avait eu l’imprudence d’admirer la veille et que cette intrigante de comtesse portugaise avait immédiatement offert de lui enseigner.

Tout à coup, contrairement aux habitudes si correctes des Douze-Monarques, une voix irritée se fit entendre en bas, sur l’avenue, du côté de la grille, disant : « Allez-vous filer, à la fin des fins ?… »

Cette infraction aux règles de l’étiquette coutumière causa, parmi les assistants, un moment de stupeur pénible et chacun se sentit atteint dans sa dignité par l’intrus qui motivait une aussi sérieuse algarade. On se pencha sur la balustrade et l’on vit une pauvre vieille femme, bien misérablement vêtue, dont le regard humide implorait la pitié d’un grand diable de laquais, tandis qu’elle préservait d’une main tremblante les tristes fleurs à demi fanées qui garnissaient le fond d’une petite corbeille.

Plusieurs shocking furent murmurés, sans qu’on sût bien s’ils étaient adressés à l’audace de la pauvresse ou à la brutalité du valet ; une dame s’écria : « C’est inouï ! », exclamation qui demeura frappée du même mystère quant à sa destination ; M. le secrétaire d’ambassade dit très haut à Michel : « Oh ! ces gens !… » et nul ne sut non plus auquel des deux il en avait ; Mlle d’Almaviva jeta une pièce de vingt sous, que la vieille ne vit pas tomber, et M. Saturnin, attiré par le bruit et honteux d’une pareille aventure, inouïe dans les fastes de son établissement, s’élança en personne pour expulser la marchande de fleurs et tancer son domestique.

Tout cela, très long à dire, s’était passé presque simultanément, et c’est à peine si Annette avait eu le temps, pour faire comme les autres, d’arriver à la balustrade. La pauvre vieille, affolée, éperdue, navrée de plus de voir s’évanouir l’espérance d’une petite recette, levait justement les yeux vers la terrasse au moment où se montra le doux visage de la jeune fille ; et, le bon regard que le sien rencontra l’enhardissant, elle tendit d’un mouvement instinctif son panier du côté d’Annette.

En moins d’une seconde, celle-ci traversa la terrasse et descendit le perron, pour arriver sur l’avenue juste au moment où M. Saturnin, blême de colère, allait mettre la main sur l’épaule de la vieille, avec l’évidente intention de la repousser très loin. Mais sa main rencontra le bras que Mlle François avançait pour protéger la marchande ; puis, médusé par le regard de profond dédain de la jeune fille et par le geste hautain avec lequel elle le congédiait, il ne sut que s’incliner très bas et s’esquiver.

Annette releva un peu sa robe, y jeta pêle-mêle toutes les fleurs de la vieille, mit un louis à leur place dans la corbeille et dit très vite :

« Allez tranquillement, ma bonne femme, et revenez chaque matin, à neuf heures, m’en apporter autant. »

Puis elle se sauva, mais pas assez vite que la vieille n’eût pu se courber et poser ses lèvres sèches et ridées sur la main qui retenait les fleurs dans la robe.

« Dieu vous le rende, ma jolie dame ! » dit-elle.

Et, tandis qu’Annette, un peu encombrée par ses fleurs, gravissait les marches du perron, on aurait pu l’entendre murmurer :

« Il y a longtemps que Dieu me l’a rendu ; c’est moi qui suis en reste avec lui. »