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DE GRANVELLE

— Si tu veux que je te dise, elle m’horripile, ma femme de chambre ; pour servie, je le suis trop : je n’y ai point été accoutumée. Elle prétend me coiffer, me faire changer de robe dès après déjeuner ; je crois que c’est ce qui trouble ma digestion… Oui, oui, décidément, je la renvoie. »

Quand la porte se fut refermée sur elle, Pierre se tourna vers l’oncle Charlot, qui avait suivi avec des sentiments divers cet entretien orageux.

Il souriait, maintenant.

« Tout s’arrange, vous le voyez, fit Pierre, venant embrasser tendrement le vieillard. Nous allons être heureux, vraiment heureux, je l’espère. »

Puis, plus bas :

« Si je suis encouragé par bonne-maman aujourd’hui, j’irai à Chalon dès demain et j’aborderai franchement la question avec M. et Mme Lavaur… »

Il s’interrompit : on sonnait à la grille.

« C’est le facteur », annonça-t-il.

Et il sortit pour aller recevoir son courrier.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)



MADAME LA PRINCESSE



L’hôtel des Douze-Monarques est, comme chacun sait, l’un des plus somptueux et des mieux achalandés de V***. Les terrasses s’étendent le long du nouveau parc, presque en face de l’ancien chalet impérial, et une large grille, aux fers de lance dorés, inspire aux passants une considération respectueuse pour les personnes qui ont le droit de la franchir. Musiciens ambulants, marchands de bibelots, fleuristes et autre menu peuple sont rigoureusement consignés au dehors, et, à l’heure du café, quand les hôtes des Douze-Monarques se prélassent, à l’ombre, sur des sièges en rotin de toutes les formes, un valet de pied correct empêche les intrus de stationner indiscrètement devant la grille ou sous les terrasses.

Songez donc ! Comment veut-on que M. Saturnin, directeur du grand hôtel des Douze-Monarques — douze : le compte y est ; pas un de plus, pas un de moins — permette à ces manants (toute personne qui vit ailleurs que chez lui est un manant pour M. Saturnin) de contempler les traits augustes des personnes qui l’honorent de leur clientèle ?

N’oublions pas qu’en 1889, un monarque, un vrai monarque, un des Douze peut-être, a passé quinze jours à l’hôtel : et l’on voudrait que la vile multitude… Ah ! c’est à faire frémir !

Comme à toute règle, si générale elle soit, il faut des exceptions, la législation de M. Saturnin en comportait trois, non pas du plein gré de M. le directeur, mais parce que M. Shampernoon, le plus illustre majordome anglais de toutes les villes d’eaux, en avait fait une condition expresse de son entrée dans la maison. M. Shampernoon, de son vrai nom Nicolas Champernon, né à Montmartre, couvrait de sa haute protection d’abord une accorte fleuriste, fraîche et pimpante, sa propre nièce ; ensuite un vieux prestidigitateur qui lui enseignait, par-ci par-là, un tour de cartes ou de gobelet ; enfin une tribu de tziganes dont le chef lui graissait très proprement la patte ; malgré des appointements de préfet, le bon Nicolas ne dédaignait pas les petits bénéfices.

Il faut dire à la louange du majordome que, s’il avait imposé ces trois exceptions à M. Saturnin, ses choix, du moins, étaient excellents : Mlle Palmyre ne vendait que des roses magnifiques ; M. Boutzigar, se disant élève de Robert-Houdin et du commandeur Caze-