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P. PERRAULT

vues comme celles qu’il venait d’avoir avec MM. Denormand et Aubertin :

« Ne vous tourmentez pas, oncle Charlot, supplia-t-il, je ferai tête à l’orage et je saurai l’apaiser, je vous le certifie. Tu peux entrer, Greg, répondit-il à la question que lui posait celui-ci de l’autre côté de la porte.

— C’est que j’ai les deux mains embarrassées ; j’ai peur de lâcher le plateau. »

Marcenay alla ouvrir.

Le jeune homme apportait lui-même le café, auquel il avait ajouté de son chef des galettes au maïs sortant du four, certain que Pierre, dont il connaissait les goûts, n’y résisterait pas :

« Tu as… as… dit… ? interrogea l’oncle Charlot dès que son messager eut franchi le seuil :

— Oui », fit Pierre avec un beau sourire vaillant.

Et, aussitôt, pour prouver à son oncle qu’il était résolu à ne point se déclarer vaincu sans avoir lutté :

« Greg, prononça-t-il, va t’informer si ma tante est visible, afin que je monte lui dire bonjour. Tu iras ensuite prendre des nouvelles de Mme et de Mlle Lavaur, et tu leur annonceras ma visite pour cet après-midi. »

Il s’était assis devant un guéridon et déjeunait, tout en caressant et en régalant d’une part de ses galettes son chien Mylord et Jaunet, son vieux chat, entrés sur les talons de Greg.

Ce dernier échangeait avec le paralytique un regard entendu : tous deux souriaient.

Il allait y mettre bon ordre, lui, à la brouille ! Allons, tout s’arrangerait, et bientôt !

Ravi des ordres reçus, petit Greg se précipita vers la porte pour les exécuter. Mais, comme il l’ouvrait, on la lui repoussa dessus brusquement, et Mme Saujon, en robe de chambre, coiffe de nuit, visage maussade, fit son entrée :

« Ah ! te revoilà, s’écria-t-elle. Tu en as assez, polisson, du régime de l’hospice. »

Greg regarda Pierre, cherchant à lire sur sa physionomie ce qu’il devait répondre.

Le jeune homme posa un doigt sur ses lèvres d’un geste rapide, et, s’avançant vers sa tante :

« C’est moi qui ai ramené ce bonhomme ; ne vous préoccupez pas de lui. Parlez-moi de votre santé, ajouta-t-il en effleurant les joues parcheminées de Caroline. Comment s’est-elle comportée en mon absence ?

— Mal, très mal ! J’ai dû demander le médecin deux fois pour des pesanteurs d’estomac. J’ai le teint jaune, n’est-ce pas, Pierre ? La bile me fatigue. »

Et déjà sa voix montait d’une octave.

« Mais non, mais non : je vous trouve au contraire bonne figure. Nous avons peut-être un peu négligé notre régime, poursuivit-il avec un hochement de tête important, se donnant soudain sa figure de docteur : nous nous y remettrons. »

Puis à Greg :

« Va où je t’ai dit, mon enfant.

— Où l’envoies-tu ? questionna Mme Saujon soupçonneuse.

— Chez Mme Lavaur prendre de leurs nouvelles et demander si je peux être reçu aujourd’hui.

— Attends une minute, petit…

« Mon neveu, déclara Caroline, s’efforçant de donner à sa voix et à son attitude une solennité qui en imposât à Pierre, écoute-moi d’abord. Je présume qu’après m’avoir entendue, l’envie ne te restera point de revoir ces gens-là. J’ai été insultée par Mme Lavaur.

— À quel propos ?

— Sans raison, mon cher, sans aucune raison ! Mme Lavaur Lavaur n’a-t-elle pas prétendu que je trichais ? Parce qu’il m’est arrivé une fois d’avoir une distraction, que ce petit insolent n’a eu garde de passer sous silence, fit-elle en désignant Greg de la tête, bonne maman s’est avisée de me suspecter, de me surveiller ; elle a mis des lunettes exprès ! Ça m’agaçait déjà pas mal, ces façons-là ! Suis-je cause si le jeu me vient, et si je sais en profiter ? Elle joue comme une borne ! Le jour où nous nous sommes disputées, elle m’a jeté les cartes à la tête, ou peut s’en faut. Du joli monde ! bonne éducation ! Je n’y ai plus remis les pieds, tu peux le croire. Je n’entends pas