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POUR L’HONNEUR

parlait, nommant à mesure les édifices, les places, les monuments. Même, en dînant, Greg causa peu, occupé qu’il était à classer ses souvenirs.

Une fois dans le train, se mettant à sourire, il dit :

« J’en aurai long à raconter à l’oncle Charlot, de quoi le distraire au moins pendant une semaine. »

Mais, comme il se disposait à questionner Pierre, afin de s’assurer que sa mémoire n’était point en défaut, il s’aperçut que, perdu dans ses propres pensées, le jeune homme ne l’entendait pas…

À Chalon, une voiture commandée par dépêche attendait les deux voyageurs à la gare. Elle les déposa devant la grille de la villa Saujon un peu avant huit heures du matin.

Au premier étage, les persiennes encore fermées laissaient présumer que « la vieille dame » dormait toujours ; mais, au rez-de-chaussée, tout était ouvert : l’oncle Charlot devait être éveillé.

« Tu vas aller déjeuner, Greg, commanda Marcenay. J’entre chez mon oncle. Prie Nanette de me préparer du café noir et de me l’apporter ; je ne prendrai pas autre chose ce matin. »

M. Saujon avait reconnu la voix de son neveu et tenait les yeux fixés sur la porte, impatient de la voir s’ouvrir.

Il sourit à l’entrée de Pierre.

« C’est fait, annonça tout bas celui-ci en embrassant le vieillard. Je crois que votre frère peut être en paix et que nous pouvons lever la tête : nous en avons reconquis le droit. »

Rapidement, glissant sur les détails, Pierre rendit compte de ses démarches et de leur résultat. L’oncle Charlot se montra très ému, très attristé des épreuves souffertes par le pauvre Legonidec. Il approuva tout ce qu’avait décidé son neveu, visiblement soulagé qu’il ne leur restât rien de la fortune de son frère.

Mais la réflexion mit une inquiétude sur ses traits : qu’allait dire Caroline ? Comment accepterait-elle ce complet dépouillement, alors que sa joie était de faire sonner à tout propos « son million », mot magique dont les trois syllabes la grisaient d’orgueil.

Un doigt levé vers le plafond, le vieillard interrogeait anxieusement Pierre du regard.

Celui-ci fit un geste indifférent.

Affronter la colère de sa tante ? Voilà qui ne le troublait guère au sortir de deux entre-