Midi flamboie sur Rome endormie.
Allongé sur un lit de repos, Norbanus est bercé de doux rêves. N’a-t-il pas appris, ce matin, que l’empereur Marc-Aurèle a décidé qu’il serait érigé au Capitole un temple à la Bonté ?
Elle est donc finie, cette nuit d’angoisse et de terreur qui, depuis deux siècles, pèse sur le monde comme le marbre d’un tombeau ! Ils ne reparaîtront plus, ces monstres, effroi de l’histoire, les Néron, les Tibère, les Caligula, les Domitien !
Le bon chevalier voit refleurir l’âge d’or ; plus de guerres, plus de proscriptions, plus de haines ; le genre humain n’est plus qu’une grande famille ; une aube radieuse de paix, d’amour et de joie éclaire l’univers régénéré.
Un bruit soudain, violent, réveille Norbanus : des cris, des malédictions, des menaces.
Il s’élance dans l’impluvium : ses esclaves courent sur les terrasses : ils poursuivent un malfaiteur qui a été surpris se glissant dans l’appartement des femmes.
Des clameurs sortent de ce côté ; Norbanus y court.
Il trouve tout en émoi ; les servantes sont affolées.
Bonne et charitable, Octavie s’applique à faire reprendre ses sens à l’une d’elles qui s’est évanouie de saisissement : c’est la nouvelle esclave, — Aldwyna.
Un soupçon vient alors à Norbanus.
Il retourne dans l’impluvium.
« Le voilà ! Il est pris ! » crient les esclaves descendant des terrasses.
On amène le malfaiteur.
Norbanus ne s’est pas trompé.
Sombre, les yeux fichés en terre, le Marcoman ne profère pas une parole.
« Scélérat ! voleur ! crie Norbanus.
— Je ne suis pas un voleur ! dit Matoas redressant le front.
— En vérité ? Tu t’es introduit chez moi par escalade pour enlever une esclave m’appartenant, — et tu n’es pas un voleur ? Voilà de l’impudence ! — La loi me permet de te faire tuer sur place ; sais-tu cela ?
— Je le sais.
— Je n’aurais qu’un geste à faire.
— Faites ! »
Les hommes qui avaient capturé Matoas attendaient immobiles, l’œil cruel, la main sur leur poignard.
« Non, dit Norbanus, les magistrats prononceront la peine ! »
Il fit quelques tours dans la chambre.
Puis, brièvement, il ordonna aux esclaves de sortir.
Il resta seul avec Matoas garrotté.
Il y eut quelques instants de silence.
« Pas un mot de regret ! Pas un signe de repentir ! observa amèrement Norbanus.
— Seigneur, je vous respecte, j’étais affolé… balbutia le prisonnier.
— Triple sot ! Toi qui aimais par-dessus tout la liberté ! Tu seras condamné aux mines ! Tu travailleras dans un souterrain, les fers aux pieds, sous les étrivières des gardiens.
— Ce supplice, je ne l’endurerai pas longtemps ! » murmura Matoas.
Norbanus le regarda encore en silence. Puis, brusquement :
« Si je te laissais libre, jures-tu de t’éloigner de Rome, de n’y plus jamais revenir ?
— Je vous le jure. »
Le chevalier avait pris sur la table un petit stylet à lame dorée ; il s’approcha du prisonnier et coupa ses liens d’un seul coup.
« Sauve-toi !
— Seigneur, vous avez l’âme grande et généreuse, dit Matoas en baisant la main de Norbanus.
— Vite ! Détale avant l’arrivée des gens de police ! »
Le Marcoman avait disparu depuis quelques instants : une porte intérieure s’ouvrit, donnant passage à une jeune femme vêtue d’un riche peplum violet et dont le beau et fier visage était bouleversé par l’émotion.
« Mon cher époux, l’homme qui a été pris, où est-il ? Qu’en a-t-on fait ?
— Est-il connu de vous, Octavie ? demanda Norbanus étonné.
— Il est le compatriote, le parent, le fiancé d’Aldwyna. La chère enfant est désespérée.