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ALBERT FERMÉ

rait ! quel que fût celui qu’il s’agît d’évincer.

Il connaissait trop bien Gabrielle ; il avait eu trop d’occasions d’apprécier ses qualités charmantes pour espérer rencontrer une autre jeune fille s’accordant comme elle à son caractère, partageant ses vues, ayant ses goûts et lui inspirant ce même sentiment, tout à la fois sérieux et si profond, qu’il lui semblait avoir pris racine au tréfonds de son âme.

Il lutterait… Et cependant quelque chose lui disait que, d’avance, la partie était perdue…

Accoutumé à penser tout haut avec l’oncle Charlot, petit Greg devinait les causes de l’orage qui grondait sous le front soucieux de Pierre. Mais le jeune homme lui en imposait beaucoup ; l’idée ne lui fût pas venue d’effleurer avec lui cette question délicate. C’est par un silence respectueux, coupé de longs soupirs, qu’il s’associait à sa peine.

Pierre lui en sut gré. Faisant, après un moment de mutisme accablé, un effort pour sourire :

« Tu es un bon commissionnaire, dit-il. Je crois la confiance de l’oncle Charlot bien placée. »

L’enfant comprit la recommandation enveloppée dans cet éloge. Il repartit :

« Je n’ai guère d’âge ; mais, tout petit, on m’a appris à me taire ! Et je vous aime tant ! Je n’aime personne au monde comme vous, monsieur Pierre ! Oh ! oui, vous pouvez vous fier à moi ! Je me laisserais tuer avant de prononcer un mot qu’il ne faut pas dire. »

Toute son âme vibrait dans ces paroles, dont celui qui les écoutait devait ignorer à jamais le sens caché.

Frappé de cet élan dont la sincérité ne faisait pas doute pour lui, le jeune homme tendit la main à Chaverny, sans articuler autre chose que : « Mon pauvre gamin !… » cette appellation qui lui montait aux lèvres quand il était ému à son propos.

Mais quelles protestations, quelles phrases eussent valu aux yeux de petit Greg cette poignée de main offerte comme à un ami ?

Il en oubliait sa fatigue. Et, pourtant, c’est à peine s’il tenait debout. Cette nuit était la troisième qu’il passait en voyage ; sa veille prolongée, à Niort, n’avait guère été plus reposante : il dormait tout éveillé.

Pierre en fit la remarque.

« J’ai peut-être sommeil ; mais j’ai encore plus faim », avoua le jeune garçon avec un sourire timide.

Qu’il eût plus faim ou plus sommeil, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’à peine son déjeuner absorbé, il s’endormit.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)



LA TOURTERELLE

CONTE ROMAIN

I


« Amusez-vous, mais n’oubliez pas que notre trirème lève l’ancre à la douzième heure ; ne nous faites pas attendre.

— Sois tranquille, père.

— Maître, comptez sur moi. »

Le chevalier Cneius Norbanus considéra avec un sourire le jeune homme à barbe de philosophe qui était le pédagogue de son fils, et, quelque peu railleur, il ajouta :

« Tout à l’heure, Clinias, quand je t’ai aperçu sous ces ombrages, le long de ce ruisseau limpide, parlant à Junius avec animation, j’ai cru que tu lui récitais les vers d’une bucolique de Virgile. Puis, te voyant ramasser des galets et les montrer à ton élève, j’ai pensé que tu discourais sur la nature et la formation de ces pierres. Je ne soupçonnais point que tous les deux vous étiez simplement occupés à poser des collets pour attraper des oiseaux.

— Maître, répondit le jeune Grec qui ne se