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Allotte, dont le pliant, glissant sur le plancher, avait failli se dérober sous lui.

Quelques secousses venaient d’ébranler la coque du Saint-Enoch… Il semblait que la quille se fût dégagée en raclant la surface rocheuse de l’écueil. Un certain balancement s’était produit de tribord à bâbord, et la bande que le navire donnait n’était plus aussi accentuée…

En un instant M. Bourcart et ses compagnons furent hors du carré.

Au milieu de cette nuit noire, que le brouillard rendait plus obscure encore, pas une lueur, pas un scintillement !… Aucun souffle ne traversait l’espace !… La mer se gonflait à peine d’une molle houle, et le ressac ne murmurait même pas à l’accore de l’écueil…

Avant que M. Bourcart eût paru sur le pont, les matelots s’étaient relevés en toute hâte. Eux aussi, à ressentir les secousses, se disaient que le navire allait se renflouer… Après plusieurs balancements de roulis, le Saint-Enoch s’était redressé légèrement… Le gouvernail s’ébranlait au point que maître Ollive dut faire amarrer la roue…

Et alors les cris de l’équipage de se joindre à ceux du lieutenant Allotte :

« Il flotte… il flotte ! »

Le capitaine Bourcart et le capitaine King, penchés au-dessus du bastingage, essayaient d’observer la sombre surface de la mer. Et, ce qui devait surtout les étonner, ce qui étonna tous ceux qui en firent la réflexion, c’est que le jusant était presque au plus bas. Donc le relèvement du navire sur sa quille ne pouvait être attribué à l’action de la marée.

« Que s’est-il passé ?… demanda M. Heurtaux, en s’adressant à maître Ollive.

— Le navire s’est soulagé certainement…, répondit celui-ci, et je crains qu’il ne soit démonté de son gouvernail…

— Et maintenant ?…

— Maintenant, monsieur Heurtaux… nous sommes aussi immobiles qu’avant ! »

M. Bourcart, le docteur Filhiol, les lieutenants montèrent sur la dunette, et un matelot apporta deux fanaux allumés, qui permirent au moins de se voir.

Peut-être le capitaine eut-il la pensée d’envoyer du monde dans les embarcations afin de tenter un nouvel effort pour déhaler le Saint-Enoch. Mais, le navire ayant repris son immobilité, il comprit que la manœuvre serait inutile. Mieux valait attendre la prochaine marée de jour, et l’on essaierait de se dégager, si les secousses se reproduisaient.

Quant à la cause de ces secousses, comment l’expliquer, et quel en avait été le résultat ? La quille du bâtiment s’était-elle quelque peu dégagée de ce fond rocheux où elle semblait plus fortement adhérer par son talon, ce qu’indiquait le démontage probable du gouvernail ?…

« Cela doit être, dit M. Bourcart à son second, et, nous le savons, la mer est profonde autour de l’écueil…

— Aussi, capitaine, répondit M. Heurtaux, suffirait-il peut-être d’un recul de quelques pieds pour que le renflouage s’effectuât… Mais ce recul… comment l’obtenir ?…

— Ce qu’il y a de certain, reprit M. Bourcart, c’est que la position du navire s’est modifiée, et qui sait si, cette nuit ou demain, à l’étale de la mer, il ne se dégagera pas de lui-même ?

— Je n’ose y compter, capitaine, car la marée, au lieu de gagner, va perdre au contraire !… Et s’il faut attendre la nouvelle lune ?…

— Ce serait une huitaine de jours à passer dans ces conditions, Heurtaux… Par mer calme, le Saint-Enoch ne courrait pas grands dangers… Il est vrai, le temps ne peut tarder à changer, et ce sont généralement de violentes rafales qui succèdent à ces brumes…

— Le plus regrettable, observa le second, c’est de ne pas savoir où nous sommes…

— Que le soleil se montre demain dans la matinée, ne fût-ce qu’une heure, déclara M. Bourcart, je ferai le point et nous serons fixés sur notre situation !… En tout cas, soyez sûr, mon cher Heurtaux, que nous étions en bonne route lorsque l’échouage s’est produit… Non ! les courants ne nous ont pas drossés plus au nord qu’il ne fallait… J’en reviens donc à l’explication qui me semble la