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ANDRÉ LAURIE

— Vous, faible ou lâche ? dit Lina, l’œil rem pli d’éclairs. Vous êtes une héroïne ! Est-ce que M. Massey se doute seulement de ce que vous endurez ? ou Henri, ou Martial, ou mon cher papa ou même Gérard ?… »

Mais Le Guen vient annoncer que « Madame est servie » ; on se rend dans la salle à manger : tout se passe comme l’avait prédit Lina. Le convive est aimable, très épris d’idées de colonisation, et bientôt sur ce thème tant de choses intéressantes sont échangées, entre lui et ses hôtes, que même la migraine de Mme Massey se dissipe.

M. Le Breton, chef de bureau dans un ministère, se trouve être précisément dans la situation où était M. Massey dix ans auparavant, lorsque l’étroitesse de la vie matérielle, les charges tous les jours plus lourdes d’une famille grandissante, l’avaient amené à la résolution, anormale chez nous, d’émigrer avec tous les siens.

« J’ai cinq enfants, dit M. Le Breton ; avec ma femme, ma mère et votre serviteur, cela fait une famille de huit personnes. Or, je gagne cinq mille francs tout ronds, pas même mille francs par tête ! Au taux des dépenses actuelles, c’est l’impossibilité radicale de vivre, ni plus ni moins. J’en ai assez ! J’ai assez de refuser aux miens, de me refuser à moi-même tout plaisir, toute récréation, toute douceur ; que dis-je ! de nous refuser l’air respirable, la quantité de nourriture suffisante ! Je quitte l’Europe : j’ai obtenu une concession à Madagascar, et avec mon frère, qui est capitaine d’artillerie, — un garçon du plus haut mérite, qui se trouve lui aussi trop à l’étroit dans le cadre de sa vie, — nous disons adieu à l’existence marâtre qui nous étouffe ; nous allons demander à des espaces plus larges, à une terre moins parcimonieuse, la possibilité d’élever nos enfants !…

M. Massey est ravi de ce qu’il entend ; rien ne peut mieux faire plaisir à son humeur aventureuse et entreprenante que la courageuse décision de son ami, et, de tout son pouvoir, il l’engage à y persister. En dépit des dangers, des traverses, des déboires et désappointements de sa carrière africaine, que d’avantages n’y a-t-il pas récoltés ?

mm(La suite prochainement.)
André Laurie.mm