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c’était ce magnifique culammak qui était venu se faire amarrer !…

La nuit close, ses voiles sur les cargues, le trois-mâts n’eut plus qu’à attendre le lever du soleil.

Avec le soir, la brise se sentait à peine. La mer était au calme blanc. Le roulis s’accentuait si peu qu’il n’y avait point à craindre pour les amarres qui retenaient la baleine. Quelle perte, et quels regrets, en cas que, pendant la nuit, elle s’en fût allée par le fond !

Il y eut à prendre quelques mesures de précaution ou tout au moins de surveillance. Qui sait si le capitaine King ne voudrait pas donner suite aux menaces de son second, et tenter d’enlever le culammak en attaquant le Saint-Enoch ?…

« Cette agression est-elle réellement à craindre ?… demanda le docteur Filhiol.

— Ma foi… déclara le lieutenant Coquebert, avec des Anglais on ne sait jamais sur quoi compter…

— Ce qui est certain, ajouta M. Heurtaux, c’est qu’ils sont partis fort en colère…

— Je le comprends, s’écria le lieutenant Allotte. Un si beau morceau qui leur échappe !…

— Aussi, reprit M. Heurtaux, je ne serais pas autrement surpris s’ils venaient…

— Qu’ils viennent !… répondit le capitaine Bourcart. Nous serons prêts à les recevoir ! »

Et, s’il parlait ainsi, c’est qu’il était sûr de tout son équipage. Ce ne serait pas la première fois que des disputes auraient surgi entre baleiniers au sujet d’un coup de harpon contesté, — disputes souvent aggravées des plus regrettables violences.

Une sévère surveillance fut donc établie à bord du Saint-Enoch et les hommes de quart firent bonne garde. Si, faute de vent, le Repton aurait eu grand’peine à rejoindre le Saint-Enoch, il pouvait envoyer ses embarcations, et il convenait de ne point se laisser surprendre à la faveur de la nuit.

Du reste, ce qui assura la sécurité du navire français, c’est que, vers dix heures, une brume assez épaisse enveloppa ces parages. Il eût été malaisé de retrouver la place où leSaint-Enoch se tenait en panne.

Les heures se passèrent sans alerte. Lorsque le soleil revint, le brouillard, qui ne se dissipa point, aurait caché le Repton même à la distance d’un demi-mille. Mais peut-être les Anglais n’avaient-ils pas renoncé à mettre leurs menaces à exécution, et tenteraient-ils une attaque, si les brumes venaient à se lever ? Ce ne serait pas le vent qui les aiderait cependant. Aucun souffle ne traversait l’espace, et l’état atmosphérique ne se modifia pas de toute la matinée. L’équipage du Saint-Enoch put se remettre aux travaux du bord sans être troublé.

Dès l’aube, — 21 octobre, — M. Bourcart avait fait procéder au virage de la baleine, avec ordre de pousser vivement la besogne. Deux garants d’appareils furent passés, et les hommes se relayèrent au guindeau.

Préalablement, maître Ollive, aidé de quelques matelots, avait bagué une chaîne sur la nageoire du dehors, et l’animal tourna sur lui-même, ce qui devait en faciliter le dépècement. La tête fut alors détachée, et, non sans grands efforts, il fallut la mater pour la déposer sur le pont. On s’occupa d’en couper les lippes, la langue, les fanons, opération qui devint facile, après qu’elle eut été divisée en quatre morceaux.

La cabousse allumée, le bois ne manquant pas grâce à l’approvisionnement embarqué à Pétropavlovsk, le cuisinier put entretenir le feu sous les deux pots.

Ce fut dans ces pots que l’on fondit d’abord le gras retiré de la tête, de la langue et des lippes, qui est de qualité plus fine. Puis on procéda au dépeçage du corps par morceaux de huit à neuf brasses, réduits à deux pieds pour être introduits dans la cabousse.

Toute la matinée et une partie de l’après-midi avaient été consacrées à cet ouvrage. C’est à peine si, vers trois heures, le brouillard s’était quelque peu éclairci. Les vapeurs, à l’état vésiculaire, empêchaient le regard de s’étendre à plus d’un demi-mille autour du Saint-Enoch.

Du Repton, aucune nouvelle. Il n’aurait pu