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P. PERRAULT

a tout de suite compris qu’il avait affaire à une honnête fille.

« Enfin, c’était son devoir, de chercher. Faut faire son métier, n’est-ce pas ? Il a couru le pays huit jours durant. Il lui a fallu le nom de tous ceux qui avaient approché la voiture… À la fin, il a déclaré que cette histoire était louche et que le voleur pourrait bien être celui qui se prétendait volé. Il est parti ayant c’t’idée-là. Je ne sais point ce qu’il est advenu de tout ça depuis ; je ne m’en suis point informée ; ça ne me plaît guère d’en parler. On n’aime pas à dire qu’on a eu affaire à la justice, quand même on a été reconnu innocent. Il a fallu les « menteries » qu’on vous a contées là-dessus, Omer Fochard, pour me faire sortir de mon habitude. »

Cette conclusion atterra Pierre. Ce qu’il en était advenu… probablement cette accusation injuste, et, à la suite, une succession de malheurs immérités.

« Mais dans tout ça je ne vois pas son nom, à votre malade, remarqua Omer. Vous pouvez bien nous le dire, après vingt-cinq ans…

— Dame ! Je ne le sais point. Il n’a pas pris le temps de se nommer ; il n’y avait rien d’écrit sur sa valise…

— Le « monsieur de la police », comme vous dites, ne l’a pas prononcé ? Ce serait surprenant.

— Vous ne vous êtes donc jamais rencontré avec « de ces mondes-là », fit la vieille en branlant la tête : ça ne dit que ce que ça veut dire, je vous en réponds ! Pour tenir leur langue, y a pas les pareils.

« Son opinion, il l’a fait connaître dans le but de nous consoler des ennuis que nous avions endurés ; il l’a dite en partant.

« Et moi… je me suis pensé comme ça que c’était peut-être bien une frime pour nous rassurer, au cas que le coupable aurait été l’un de nous : histoire de le pincer plus tard.

— Et lui, l’agent de police, a-t-il dit son nom ? » reprit Omer.

La bossue hésita. Si ç’avait été Pierre qui eût posé les questions, elle aurait refusé tout net de répondre.

« En quoi ça vous intéresse-t-il ? fit-elle soupçonneuse, une vague inquiétude dans le regard.

— En rien personnellement… Mais j’aime à tout savoir quand on me raconte quelque chose. »

Il ajouta, pas bien certain que le moyen aboutirait :

« Ne le dites point, mère, si ça vous fait déplaisir.

— Déplaisir… Je ne sais trop. Il venait de Niort ; ça, c’est sûr. Comment je l’ai appris ? Faudrait peut-être encore vous en faire confidence, Omer Fochard ? »

Et, se mettant à rire :

« C’est pourtant vrai, que vous avez toujours été curieux. Tout petit, vous n’en finissiez déjà plus avec vos « pourquoi » ; fallait tout vous expliquer. Eh bien, je l’ai su en écoutant à une porte, mon gars. C’était la première fois de ma vie et ça ne m’est plus jamais arrivé. Aussi, je m’en accuse sans honte. Que voulez-vous, nous étions si en peine ! Depuis deux heures, ils causaient, le juge de paix et lui… Pour son nom, je n’en connais d’autre que celui sous lequel il s’est présenté : M. Jean. Mais c’était si peu le sien que, la moitié du temps, lorsqu’on l’appelait, il ne répondait pas. Cette fois, fit la bossue, j’ai vidé mon sac. C’est tout de même une affaire, celle-là ! »

Peut-être, à présent qu’elle était en train, eût-elle indéfiniment continué de ressasser ces choses ; mais Barmont, redoutant que Pierre ne s’ennuyât de ces radotages de vieille femme, y coupa court d’un signe.

L’heure était venue de se mettre à table, au reste.

Il était près de dix heures lorsque les deux jeunes gens remontèrent en voiture.

Dès que Boulotte eut pris le trot :

« Je partirai demain pour Niort, annonça Marcenay. Veux-tu aller à Montreuil, toi ?

— Volontiers.

— L’enquête à laquelle cette femme a été mêlée était officieuse et a dû demeurer secrête, cela me paraît évident, malgré la conférence avec le juge de paix. On aurait procédé d’une manière différente si la justice avait été