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POUR L’HONNEUR

peut ; encore sera-ce en eau tarie, par surprise, et en la saisissant d’autorité ; car, avec elle, il ne faut pas essayer de profiter de l’ouverture de l’opercule pour l’appréhender aux ouïes, cette ouverture étant restreinte, c’est-à-dire proportionnée à la grosseur de la tête. Et il faut compter avec sa queue, cette terrible queue d’anguille qui s’enracine n’importe après quoi, et d’une résistance à nulle autre pareille !

Quant au chevesne et à la vandoise, dont pourtant la sauvagerie est notoire, ils n’échappent pas à la régie générale. Ils sont également bêtes ; pourvu que leur chair soit bonne, ne leur en veuillons pas trop. Mais c’est un axiome courant que « tant vaut l’eau, tant vaut le poisson ». Ici, par exemple, la truite est saumonée ; là, non. Cependant, les rivières voisinent ; question d’habitat.

On risque parfois, en fouillant les houles, d’être mordu par un rat d’eau, ou de sentir une couleuvre s’enrouler autour de votre poignet : simples incidents.

Une objection à présent, qu’on m’a souvent faite à propos de la pêche à la main dans les petites rivières, c’est que celles-ci peuvent être dépeuplées du jour au lendemain, surtout lorsque se produit la baisse des eaux. J’en tombe d’accord ; mais il faut bien se dire que le poisson ne saurait échapper à sa destinée, et qu’il vaut mieux, somme toute, que ce poisson soit pris à la main que brutalisé par la dynamite ou empoisonné par une drogue quelconque.

Par ailleurs, le plongeur mis en cause, nous répondrons ceci : loyale étant la capture, l’espèce symbolique du court-bouillon aurait mauvaise grâce à y trouver à reprendre. En effet, on ne se jette pas dans un gouffre du Fier pour y pécher une ablette ; pas plus, j’imagine, que les pêcheurs cinghalais ne se laissent descendre, une lourde pierre à chaque pied, au fond de l’océan Indien, pour en rapporter un hippocampe.

Émile Maison.


POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT

CHAPITRE VIII


Ce matin-là, Pierre Marcenay quitta le maire de Thouars bien soucieux, presque découragé.

Depuis quinze jours il battait la contrée, interrogeant ceux que lui amenait la note publiée dans les journaux, — des curieux plutôt que des gens informés — se rendant d’une extrémité à l’autre du canton, sur la foi de l’indication la plus vague.

Le vieux palefrenier de l’hôtel, le seul à même de se rappeler cette aventure lointaine, était mort l’année précédente ; morts aussi, le docteur Cousin, celui qui avait donné des soins à l’inconnu, et le cantonnier qui avait dû transporter les bagages de l’émigrant.

Pour le conducteur à la jambe cassée, personne ne se souvenait de lui.

Pierre avait l’impression que, plus il s’efforçait d’atteindre la vérité, plus elle reculait, s’enfonçait dans l’ombre… semblant vouloir le forcer au seul parti qu’il se refusait à prendre.

Il s’était dit ceci, et maintes fois :

« En constatant que son portefeuille renfermait huit mille francs au lieu de quatre-vingts, cet étranger a dû porter plainte sur les lieux mêmes et sans retard. À qui ? À la gendarmerie… au juge de paix… Mais ces fonctionnaires ne gardent pas la direction des affaires de ce genre ; tout de suite, ils informent le parquet. C’est lui qui dirige l’enquête, centralise et conserve les documents. C’est là, c’est au greffe du tribunal de Bressuire qu’il me faudra m’adresser en désespoir de cause. »