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toute vitesse vers le culammak, maintenant immobile, comme s’il hésitait à fuir du côté de l’est ou du côté de l’ouest. Quant aux matelots du Saint-Enoch, ils forçaient sur leurs avirons pour les devancer, car, le vent étant tombé, il avait fallu amener les voiles.

« Hardi, les enfants, hardi !… » répétaient M. Heurtaux et les lieutenants, qui stimulaient leurs hommes de la voix et du geste.

Et ceux-ci de crier en souquant ferme :

« Non !… ils ne l’auront pas… ils ne l’auront pas ! »

En fait, la distance à franchir était à peu près égale. Il y avait tout lieu de croire que les pirogues atteindraient le baleinoptère en même temps, à moins qu’il ne disparût dans une dernière plongée.

Cela va sans dire, il ne s’agissait plus de rester dans le rang ainsi que l’avait ordonné M. Heurtaux. Chaque embarcation poussait pour son propre compte. Comme d’habitude, le lieutenant Allotte se maintenait en avant et ne cessait de répéter :

« Hardi, mes enfants, hardi ! »

De leur côté, les Anglais gagnaient rapidement et même le culammak tendait à se rapprocher d’eux.

D’ailleurs, avant dix minutes, la question serait résolue : ou l’animal aurait été piqué, ou il aurait disparu sous les eaux.

À quelques instants de là, les six pirogues se trouvèrent en face les unes des autres à moins d’une encâblure. Qu’allait-il arriver, étant donnée l’animation des équipages ?…

« Mais cette bête-là veut donc porter son huile aux English ! » s’écria un des matelots de la pirogue Coquebert, en la voyant évoluer vers le Repton.

Non ; le culammak s’arrêta lorsque les embarcations n’en étaient plus qu’à une centaine de pieds. Afin d’échapper plus sûrement peut-être se préparait-il à s’enfoncer…

En ce moment, Ducrest, de la pirogue Allotte, brandissant son harpon, le lança, tandis que le harponneur de la pirogue Strok, du Repton, lançait le sien.

Le culammak fut atteint. Un jet de sang jaillit de ses évents. Il souffla rouge, battit la mer d’un dernier coup de queue, et, après s’être retourné sur le ventre, demeura immobile.

Mais, dans ce coup double, quel était celui des deux harponneurs qui l’avait frappé mortellement ?…

Jules Verne.

(La suite prochainement.)


LA PÊCHE EN RIVIÈRE


À LA FOURCHETTE


Au début des vacances, entre deux coups de fourchette piqués sur les chabots et les loches d’un ruisseau de la Sèvre Nantaise, j’ai glissé quelques lignes du curieux chapitres de la pêche à la main, beaucoup plus pratiquées qu’on ne croit, mais insoupçonnée de la plupart des citadins, aucun livre scolaire ni programme sportif n’en faisant mention. J’ai l’agréable devoir d’y revenir, ne serait-ce que pour justifier l’intérêt que j’ai pris moi-même à ce genre de pêche, sans m’y adonner d’autre sorte, dévot de la gaule demeurant.

Un bon pêcheur à la main soit être amphibie et avoir le mépris des rhumatismes, aussi longtemps que ceux-ci ne l’obligent pas à renoncer à son aventureuse carrière.

L’exemple donné dans un demi-pied d’eau pour prendre une jeune truite affolée, cette leçon de choses, veux-je dire, est « l’enfance de l’art » ; aussi n’ai-je pas eu grand mérite à m’en rendre capable. Il n’en va pas de même lorsque l’homme plonge, sous des rives profondes, pleines d’écueils, où il avance toujours un peu à tâtons, encore que le sens de la vue soit très aigu chez lui.

Songez que le plongeur le mieux qualifié ne peut rester plus d’une minute hors de son