seriez-vous une minute à accepter une offre pareille ?…
— Ma chère enfant, il va sans dire que je serais désolé de me séparer de ce brave animal, qui est en réalité un ami pour nous tous… Pourtant, il devient véritablement bien encombrant… Je ne parle pas seulement de sa taille colossale, mais la vie civilisée parait lui porter sur les nerfs d’une façon si remarquable…
— Oh ! papa !… s’écrie Colette, dont les yeux se remplissent de larmes. Ne me dites pas que vous allez vendre Goliath !… Le vendre, pauvre cher vieux ami !… Oh !… il me semblerait qu’on vend un de nous !…
— Voyons, mon enfant, sois raisonnable… Ton éléphant serait assurément bien traité, vu sa valeur… Et il apprendrait si facilement son métier d’éléphant savant, étant donnée son intelligence, qu’il ne risquerait même pas de recevoir des coups…
— Il ne le supporterait pas ! s’écrie fièrement Colette. Goliath est un être libre qui sert par amitié, non par force. Mais cessons ce débat, n’est-ce pas ? Et confirmez bien à monsieur que notre ami n’est pas à vendre.
— Dix mille dollars ! articule le Yankee.
— Le prix, monsieur, ne fait rien à l’affaire ; Goliath n’est pas à vendre, réplique froidement Colette.
— Onze mille ?
— Non !
— Douze mille ?
— Monsieur, je vous ai déjà répondu !
— Douze mille cinq cents ?
— Pas pour cent mille !… pas pour un million !… Goliath n’est pas à vendre !… » répète Colette, indignée de ce marchandage.
En ce moment arrive le reste de la famille etM. Massey se trouve en un clin d’œil mis en minorité absolue : il n’y a qu’une voix : vendre Goliath serait un crime, une véritable trahison. « Autant vaudrait vendre Tottie !… » s’écrie impétueusement Gérard. Et Tottie, gravement :
« Pas vendre Tottie !… Tottie pas marchandise !… »
Bref, le Yankee déconfit doit se retirer, ce qu’il fait à regret, après avoir examiné de plus près le gigantesque animal, qu’il déclare être un des plus beaux spécimens de sa race, quite American !… oubliant dans son enthousiasme que les éléphants ne viennent pas en Amérique. Il ne peut s’empêcher d’épancher ses regrets dans le sein de M. Massey qu’il juge le seul business-like de la bande, et lui décrit en termes enflammés les affiches que déjà il voyait se dessiner dans sa tête et qu’il aurait posted over all the Continent !
Sans se laisser éblouir, on repousse définitivement ses offres, et l’on décide séance tenante qu’on emmènera Goliath à Paris ; mais, pour prévenir le retour de ses bruyantes lamentations, on décide également que Le Guen sera préposé à sa garde et ne le quittera plus jusqu’au départ. Ce que le brave matelot accepte de très bon cœur, car Goliath est pour lui un véritable ami, et il lui ferait bien d’autres sacrifices que celui d’une promenade sur la Cannebière !…