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POUR L’HONNEUR

faire un sacrifice, à accepter un renoncement, le pourrais-je ?… »

Un petit frisson la secoua ; le grain délicat de son épiderme, rosé aux joues, prit partout, subitement, une teinte nacrée ; comme si la fraîcheur de cette sereine nuit d’automne l’eût tout à coup saisie.

Elle murmura :

« J’ai froid… »

Refermant sa fenêtre, elle alla s’agenouiller devant les images du Christ et de Marie, qu’ombrageait le houx fleuri dont Greg lui avait fait présent le matin ; et elle pria, le front dans ses mains, longtemps.


CHAPITRE VII


Le lendemain était jour de grande lessive, cette mémorable lessive de ménage dont bonne maman Lavaur, sitôt à la campagne, s’était hâtée de reprendre l’usage. On ne la faisait que quatre fois l’an : aussi, quel travail durant une semaine ! Tout le monde y était employé. Il n’était plus question d’autre chose.

La lingerie ne suffisait pas ; la salle à manger était mise à contribution pour le pliage des serviettes et des nappes ; il se glissait parfois une brassée de menu linge jusqu’au salon !

Qu’importait ? Toutes réceptions étaient suspendues au cours de cette laborieuse semaine ; Gabrielle devait se fâcher pour obtenir que la partie de besigue elle-même ne fût pas sacrifiée.

« Mais aussi, répétait bonne maman, afin d’encourager son monde, on a trois mois de tranquillité, avec mon système. »

Un peu de vent, un rayon de soleil, semblant vouloir favoriser le séchage, sitôt sa grand’mère coiffée et habillée, Gaby était descendue au jardin aider la femme de chambre à étendre.

Bien encapuchonnée dans un ample bachelick de drap, les mains cachées sous de fins gants de laine blanche, elle jetait d’un mouvement vif, en s’élevant sur la pointe des pieds, le linge mouillé sur les cordes tendues le long des allées du jardin.

Mélanie l’observait avec sollicitude.

« Est-ce que mademoiselle serait souffrante qu’on ne l’entend pas chanter, aujourd’hui ? » se demandait-elle.

Gaby avait, en effet, l’habitude de fredonner lorsqu’elle se livrait aux soins du ménage ; peut-être pour s’en distraire, peut-être inconsciemment, parce que son esprit vagabondait un peu, tandis que ses doigts agiles rangeaient, pliaient le linge, couvraient les pots de confiture, confectionnaient la tarte du goûter ou l’entremets du soir.

Mais, ce matin-là, elle était encore sous l’impression rapportée la veille, la pauvre Gaby, et c’est en silence, d’un air absorbé, qu’elle s’acquittait de sa tâche.

Le travail avançait, la corbeille était vide. Hélant le jardinier, Mélanie retourna avec lui chercher une nouvelle charge de linge au lavoir.

La jeune fille s’accota frileusement, pour les attendre, à un gros arbre dont le large tronc la protégeait contre la bise, un peu aigre en dépit du soleil.

Emmitouflée jusqu’aux yeux dans les plis souples de son bachelick, elle s’isolait, songeuse et triste, triste tout à fait.

La voix de Marcenay la saluant, de l’autre côté du mur, d’un bonjour amical, lui fit soudain tourner la tête, puis quitter son abri et se rapprocher de l’enclos voisin.

Pierre expliqua :

« Je suis en faction depuis pas mal de temps ; j’attendais le départ de Mélanie. Nous allons être quelques jours privés de vos visites, mademoiselle ; inutile d’ajouter à quel point nous le déplorons, mon oncle et moi, mais il le faut. Greg est très mal. Le médecin, que j’ai fait appeler dès l’aube, car il a passé une nuit terrible, le pauvre petit, le médecin craint des complications de toute sorte, même la méningite. Pour la fièvre typhoïde, elle lui paraît des mieux caractérisées. Aussi, sa première recommandation a-t-elle été celle-ci : « Ne devront pénétrer chez le malade que les