Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
POUR L’HONNEUR

Il ne fut pas malaisé d’obtenir un gros bouquet que, toute fière, j’allai montrer à ma famille.

« Tu as encore grimpé sur le Sainte-Lucie ? me dit ma mère.

— Non, répondis-je, puisque j’ai promis de ne suivre mes chats que sur la branche du bas ; mais j’ai inventé quelque chose… »

J’expliquai mon moyen, et mon père ravi s’écria :

« Tu n’es pas bête, mon enfant, c’est très simple, en effet, mais, il fallait y penser. »

Je n’étais pas bête ! C’était la première fois qu’on me le disait, et je pensai alors que je pourrais faire beaucoup de belles et bonnes choses.

L’idée qui me vint tout d’abord à l’esprit fut de tricoter des bas.

J’avais vu, quelques jours auparavant, une pauvre femme dont les bébés allaient pieds nus, disait-elle ; ma mère lui avait donné des bas devenus trop étroits pour moi, mais ils ne dureraient pas longtemps, et, puisque « je n’étais pas bête », pourquoi n’en ferais-je pas ?

Sûrement, je réussirais.

La réflexion de mon père ne m’avait pas inspiré d’orgueil, mais une grande confiance en moi-même.

Je possédais un peloton de laine rouge, trois aiguilles à tricoter ; je me mis à l’œuvre.

D’abord tout alla bien, mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’une quatrième aiguille me serait grandement nécessaire.

« Bah ! me dis-je, je n’ai qu’à enfiler toutes mes mailles sur deux aiguilles et je continuerai avec la troisième. »

Hélas ! mon bas avait la forme d’un sac de papier avant qu’on l’ait ouvert pour le remplir, et il m’était de plus en plus difficile de poursuivre mon entreprise.

Combien de fois ai-je recommencé, m’ingéniant, cherchant et ne trouvant pas, je n’en sais rien.

Cela dura des heures.

Enfin, ma mère m’entendant pousser de gros soupirs, me demanda si j’étais malade.

Je jetai alors laine et aiguilles au milieu de la chambre et m’écriai en pleurant :

« Que je suis à plaindre ! Je ne suis pas bête, et il m’est impossible de tricoter un bas ! »

Je tremblais, j’avais la fièvre, causée par la trop longue application nécessaire à mon essai malheureux et l’effort prolongé qu’il m’avait fallu faire.

Ma mère me consola, me promit de jolie laine et de belles aiguilles, surtout si je voulais travailler pour les petits enfants dont la maman était, en effet, bien pauvre.

Elle me gronda aussi un peu, mais très peu.

La leçon avait été bonne et plus jamais je ne perdis mon temps à tricoter avec trois aiguilles, c’est-à-dire à tenter l’impossible.

Cependant, je dois avouer que, lorsque je fus plus habile, j’essayai de me contenter de quatre et, à la rigueur, elles suffisaient.

Hélas ! je sus plus tard qu’on pouvait faire des bas avec deux ! Ma confusion fut grande et ma confiance en moi-même considérablement diminuée… pendant quelques jours.

Néanmoins, grâce à l’indulgence de ma mère qui, au lieu de punir ma colère, me fit doucement comprendre mes torts, mon premier tricot, étant lié à une des innombrables preuves de sa bonté, est resté, pour moi, un de mes meilleurs souvenirs.

A. Lyx.

POUR L’HONNEUR

Par P. PERRAULT

CHAPITRE VI (Suite).


Les derniers mots prononcés, Pierre interrogea du regard ses deux auditeurs.

L’oncle Charlot pleurait…

Pour Caroline, ses lèvres, plissées en une moue boudeuse, laissaient pressentir que le message était peu de son goût :