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A. LYX

générosité avait dispersé sa rancune et les mauvais sentiments du coupable.

Quand sonna la cloche du dîner ils revinrent la main dans la main, vers la maison où leur grand’mère les attendait.

Sur la figure de Philippe un souffle avait passé qui effaçait bien des légèretés d’enfant, et que n’eût pas obtenu la vengeance : regret de la faute et volonté de la réparer.

En générosité, comme en toute autre chose, le premier pas est seul pénible… René avait fait jurer à son cousin de cacher la perte du Jean-Bart à Mme Linteau, aussi longtemps que cela se pourrait faire sans avoir recours au mensonge.

Mais Philippe n’avait pas juré de taire sa confession à l’oncle Pierre auquel il écrivit tout.

Un jour une caisse arriva au château à l’adresse de René… Elle contenait un Jean-Bart tout pareil au premier.

Philippe savait bien d’où le bateau venait… n’avait-il pas envoyé au capitaine Dumont l’argent de sa tirelire pour acheter un autre cuirassé.

Il fallut expliquer l’aventure à Mme Linteau qui serra dans ses bras les enfants, unis maintenant comme deux frères… L’équipage du Jean-Bart fut doublé… il n’en marcha que mieux… et quand, de capitaines, les garçonnets passaient matelots à l’arsenal, la cahute s’emplissait de joyeux bavardages qui ne nuisaient point au brillant des cuivres et à l’entretien des rouages du beau cuirassé.

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Et le Vieux-Moulin, qui en a vu bien d’autres, ronronne toujours… Aussi sage que son maître, il ne se venge des gamins, visant ses ailes de leurs frondes ou arrachant les roses de son vieux mur, qu’en broyant entre ses bonnes meules le froment que les bandits croqueront demain sous forme de tartines.

Paul Roland.

SOUVENIRS D’ENFANCE

LA COLÈRE OU MON PREMIER TRICOT



Parmi nos souvenirs, il en est d’agréables, de douloureux, etc…

Je ne parle pas des souvenirs désagréables ; ceux-là, je les élimine, car, avec de la volonté, on les chasse.

Les gens qui ont beaucoup souffert savent accomplir cet effort difficile.

Pour eux, c’est un jeu de mettre à la porte de leur mémoire les pensées ennuyeuses, et ceux qui ne connaissent pas la douleur ont une énergie toute neuve qui peut, facilement, les débarrasser de ces importunes.

Quant aux tristes souvenirs, il en est que nous chérissons et conservons pieusement au fond de notre cœur, mais je parlais, en commençant, de souvenirs agréables… revenons-y donc bien vite.

Avez-vous remarqué comme une chose insignifiante en apparence, telle qu’un parfum, une couleur, un air, vous transporte immédiatement dans le passé ?

Ainsi, je ne peux sentir l’odeur des lilas, sans « revoir » un petit jardin dans lequel j’ai joué quand j’étais enfant.

Ah ! qu’ils étaient beaux, nos lilas ! Avec quelle impatience j’attendais l’épanouissement de leurs jolies grappes, lorsque, après l’hiver, on apercevait les premiers bourgeons !

Il y avait aussi dans ce coin chéri un Sainte-Lucie, et, un jour de printemps, qu’il était tout couvert de ses fleurs blanches et parfumées, je me demandai s’il n’y aurait pas moyen d’atteindre ses branches inaccessibles pour moi.

J’aperçus dans un angle une grande perche qui me sembla de mesure.

Oh ! ce fut bien simple. Je fendis l’extrémité de ma perche, j’écartai un peu les deux moitiés, je saisis la branche entre elles, et je fis tourner vivement mon instrument.

Au bout de quelques secondes, j’eus la joie de posséder les fleurs désirées.