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s’ils ne seraient pas conduits à se prêter assistance ?…

Quant à la population de Pétropavlovsk, en proie à l’épouvante, son seul espoir était que le monstre, après s’être acharné contre le Repton et le Saint-Enoch, s’éloignerait des eaux sibériennes !

mm(La suite prochainement.)
Jules Verne.mm

LA VENGEANCE DU MEUNIER (Fin.)


Aubron avait rougi jusqu’aux yeux… cela lui arrivait si souvent que sa boiterie même devait lui sembler moins gênante…

Sans répondre à son petit ami, il regarda le ciel par la fenêtre qu’avait défleurie la bourrasque, mais où des boutons rebondis promettaient une pourpre nouvelle :

« Ça ne tombe plus, les enfants, dit-il ; allez vous dégourdir un peu les pattes, vous reviendrez au premier grain. »

Les marmots sortirent en se bousculant, bientôt leurs voix fraîches s’élevèrent au dehors.

« Vous êtes triste et pâle, monsieur René », dit François en regardant le garçonnet.

Celui-ci secoua la tête… il avait décidé de ne pas conter son aventure au meunier… À quoi bon ?…

Il n’était pas de ces gens qui causent sans agir. René se taisait, mais se vengerait.

Pourtant ce n’est pas en vain qu’il avait vécu presque toute sa vie dans l’intimité de François. La bonté du géant, sa finesse, ses réelles qualités morales et aussi la science particulière à la meunerie à laquelle René près de lui s’était initié, le mettaient un peu à part des autres villageois… Aubron était un véritable ami pour l’enfant.

Peu à peu, le secret s’échappa de son cœur… il dit tout, depuis l’ouverture de la caisse jusqu’au désastre découvert dans l’arsenal. Il ne cacha pas la vengeance préparée… Philippe quitterait Linteau… il déciderait sa grand’mère à le renvoyer à Paris… celle-ci préférait René… elle le gâtait même, et l’action de Philippe l’indignerait assez pour qu’elle consentît à le châtier…

« Il retournerait achever ses vacances dans le triste appartement parisien où il vivait entre des domestiques grincheux, un père toujours sombre, occupé au dehors et ne rentrant que pour les repas… »

L’enfant n’avait pas versé une larme durant son récit, mais Aubron avait passé plus d’une fois sa manche sur ses yeux.

« Monsieur René, dit-il avec effort, ce que vous voulez faire raccommodera-t-il votre bateau ?

— Quelle question !… répondit l’enfant en haussant les épaules.

— Alors pourquoi agir si mal ?

— Pour me venger.

— Parce que votre cousin a commis une mauvaise action, vous en voulez commettre une plus mauvaise encore.

— Ah çà ! vous m’ennuyez », riposta René.

Mais François avait l’énergie des timides lancés en avant. Il reprit avec fermeté :

« Écoutez-moi, je vous en prie, monsieur René… votre cousin a brisé le beau bateau que vous aimiez tant, laissez au remords le soin de le punir et ne vous rendez pas coupable d’une faute si grave que de priver de soleil, de bon air et d’exercice ce garçon qui en a besoin… »

L’enfant écoutait, les yeux mi-clos, les lèvres serrées, voulant retenir les éclairs et les mots de rage qui en eussent jailli.

« Il est inutile de me sermonner, dit-il avec un calme que démentait le léger tremblement de sa voix… Il aura du chagrin… moins qu’il ne m’en a causé… et le sien lui sera dû…

— Ne faites pas ça, monsieur René, continua Aubron… la vengeance, ça ne guérit point les blessures causées par le méchant et ça ronge le cœur… »

Un geste brusque l’arrêta.

« Je vous ai dit, déjà, que vous m’ennuyiez…