Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
COLETTE EN RHODESIA

colline des Pétunias, — tout s’était évanoui et comme évaporé dans une fuite éperdue.

Désormais la voie était libre ; on pouvait plier bagage et songer au départ.

D’un commun accord, il fut fixé au lendemain matin. La voiture d’ambulance fut amenée devant la porte et lord Fairfield, confortablement établi sur une couchette ; les petits chevaux indigènes, montrant toutes leurs côtes, mais courageux et alertes, furent sellés ; Goliath, enfin, un peu efflanqué, mais toujours digne, solide, dévoué, « le roc sur lequel la maison était plantée », déclarait Colette avec enthousiasme, Goliath allait fermer la marche, portant suspendu à ses défenses le petit hamac enrubanné où gazouillait la mignonne Tottie ; Phanor gambadait gaiement sur les flancs de la troupe.

Il était huit heures du matin quand la caravane s’assembla, et il avait fallu pousser vivement les apprêts du départ pour se trouver mobilisés jusqu’au dernier en si peu de temps ; maisM. Massey, décidé à mener vivement les choses, avait donné des ordres stricts pour que personne ne se mît en retard et chacun se l’était tenu pour dit.

Cependant deux de la bande avaient trouvé moyen de ne pas quitter sans lui dire adieu ce coin de terre qui, en dépit des épreuves récentes, leur laissait tant de souvenirs heureux. Prêts bien avant le temps et assurés de l’approbation deM. Massey, Gérard et Lina, montant à cheval vers six heures, étaient allés saluer une dernière fois les replis de la vallée, les ruisseaux, les arbres, les coteaux qui les avaient vus grandir.

« Gérard, que j’ai de peine à quitter le Dorp !… disait Lina, le visage inondé de larmes. Où retrouverons-nous jamais un soleil comme celui-ci, un jardin, une maison comme celle que nous nous étions faite ?… Oh ! pourquoi ne pouvons-nous demeurer ?…

— Eh quoi !… Tu n’es pas contente à l’idée de revoir Paris ? de toucher la terre de France ? demandait Gérard apitoyé, mais encore plus surpris. Pour moi, je t’avoue que le sol d’Afrique me brûle les pieds, tant j’ai d’impatience de fouler celui de la patrie…

— La patrie !… répétait Lina, mélancolique. Où est-elle, sinon là où nous avons grandi, où nous avons appris le bonheur de vivre heureux, tranquilles et unis ?… C’est sur le sol africain que j’ai trouvé une famille ; toujours il restera pour moi la vraie patrie !

— Moi aussi, je lui garderai un bon souvenir, crois-le bien ; mais je lui garderai aussi une dent ! dit Gérard, essayant d’égayer sa petite amie. Deux dents même ! Car enfin, voici la seconde fois que nous voyons notre foyer ravagé, la meilleure part de nos biens anéantie ; et je commence à en avoir assez d’un pareil état de choses ! Ma conviction arrêtée est que nous devons désormais nous fixer en terre française, et rien n’empêchera que ce ne soit sur le continent de ton choix. L’Afrique est grande, Lina, et nous n’y manquerons pas d’établissements français. Une fois notre chère maman guérie et hors d’affaire, nous choisirons, si tu le souhaites, en Algérie, en Tunisie, au Soudan, où tu voudras, une terre à notre convenance, pour y fonder un nouveau Massey-Dorp…

— Oh ! ne voyons pas si loin !… Pensons d’abord, comme tu dis, à maman… Chère maman ! Je me reproche de laisser ici un regret quand je pense que nous marchons pour elle vers la lumière et la guérison ! »s’écria Lina s’essuyant les yeux.

Puis, après un moment de silence songeur : « Sais-tu, Gérard, dit-elle, j’ai proposé à Henri tout à l’heure de venir dire un adieu éternel à nos champs, à nos bois, à notre terre si chère ; il a prétendu avoir cent choses à préparer, mais j’ai bien vu que mon offre lui faisait de la peine. Je crois qu’il a encore plus de chagrin que moi, si c’est possible, à laisser en arrière…

— … Les personnes aussi bien que les choses, acheva Gérard. Oui, ou je me trompe fort, ou Henri reviendra aussitôt que le devoir le lui permettra. Seule, la volonté de mon père, nettement exprimée, a pu l’empêcher de s’enrôler sous les ordres de Mauvilain. Mais je suis convaincu qu’il reprendrait aujourd’hui même du service dans les ambulances boers si notre mère bien-aimée ne