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demi-mille. Très probablement ce brouillard se dissiperait après quelques heures de soleil.

Cette éclaircie survint dans la matinée, et, bien que le ciel restât brouillé dans ses hautes zones, la vue put s’étendre jusqu’à l’horizon.

Les pirogues s’étaient dirigées vers le nord-est, chacune ayant sa liberté de mouvement, et on ne s’étonnera pas que le lieutenant Allotte, stimulant ses hommes, eût tenu la tête. Il fut donc le premier à signaler une baleine qui soufflait à trois milles au vent, et toutes les mesures furent prises pour l’amarrer.

Les trois embarcations commencèrent à manœuvrer de manière à rejoindre l’animal. Il fallait, autant que possible, éviter de lui donner l’éveil. D’ailleurs, il venait de plonger, d’où nécessité d’attendre qu’il reparût.

Lorsque la baleine revint à la surface, le lieutenant Coquebert était à meilleure distance pour la piquer. Le harponneur Durut, debout à l’avant, tandis que les matelots appuyaient sur les avirons, se tint prêt à lancer le harpon.

Ce baleinoptère de grande taille, la tête tournée au large, ne soupçonnait pas le danger. En se retournant, il passa si près de l’embarcation que Durut, très adroitement, put le frapper de ses deux harpons au-dessous des nageoires pectorales.

Le baleinoptère ne fit aucun mouvement, comme s’il n’eût pas senti le coup. Ce fut heureux, car, à ce moment, la moitié de son corps étant engagée sous l’embarcation, il eût suffi d’un coup de queue pour la mettre en pièces.

Soudain il sonda, mais si brusquement et à une telle profondeur que la ligne échappa des mains du lieutenant, et celui-ci n’eut que le temps de fixer sa bouée au bout.

Lorsque l’animal émergea, M. Heurtaux en était très rapproché. Kardek lança son harpon, et, cette fois, il ne fut pas nécessaire de filer de la ligne.

Les deux autres pirogues arrivèrent alors. Des coups de lance furent portés. Le louchet trancha une des nageoires du cétacé, qui, après avoir soufflé rouge, expira sans s’être trop violemment débattu.

Il s’agissait maintenant de le remorquer jusqu’au Saint-Enoch. Or, la distance était assez considérable — cinq milles au moins. Ce serait là une grosse besogne.

Aussi M. Heurtaux de dire au premier lieutenant :

« Coquebert, larguez votre amarre et profitez de la brise pour rallier le mouillage de Yamsk… Le capitaine Bourcart se hâtera d’appareiller, et il coupera notre route en mettant le cap au nord-est…

— C’est entendu, répondit le lieutenant.

— Je pense que vous aurez rejoint le Saint-Enoch avant la nuit, reprit M. Heurtaux. Dans tous les cas, s’il faut attendre jusqu’au jour, nous attendrons. Avec une masse pareille à la remorque, nous ne gagnerons guère un mille à l’heure. »

C’est ce qu’il y avait de mieux à faire. Aussi la pirogue, après avoir hissé sa voile et garni ses avirons, prit-elle direction vers la côte.

Quant aux deux autres embarcations, le courant les favorisant, lentement, il est vrai, elles suivirent la même direction.

Dans ces conditions, il ne pouvait être question de passer la nuit sur le littoral, éloigné de plus de quatre milles. D’ailleurs, si le lieutenant Coquebert n’était pas retardé, peut-être le Saint-Enoch serait-il arrivé avant le soir.

Malheureusement, vers cinq heures, les brumes commencèrent à s’épaissir, le vent tomba, et le rayon de vue se restreignit à une centaine de toises :

« Voici un brouillard qui va gêner le capitaine Bourcart…, dit M. Heurtaux.

— En admettant que la pirogue ait pu retrouver son mouillage… fit observer le harponneur Kardek.

— Pas d’autre parti à prendre que de rester sur la baleine…, ajouta le lieutenant Allotte.

— En effet », répondit M. Heurtaux.

Les provisions furent tirées des sacs, viande salée et biscuit, eau douce et tafia. Les hommes mangèrent et s’étendirent pour dormir jusqu’au lever du jour.

Cependant la nuit ne fut pas absolument tranquille. Vers une heure du matin, les