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du courant, sans doute. On distinguait mieux ses anneaux, qui se déroulaient par un mouvement vermiculaire, sa queue en longs zigzags, dont l’extrémité se relevait parfois, sa formidable tête à crinière hérissée, dont il ne s’échappait aucun souffle d’air et d’eau.

À la demande formulée, puis renouvelée par le lieutenant, de mettre les pirogues à la mer, le capitaine Bourcart n’avait pas encore répondu. Cependant MM. Heurtaux et Coquebert s’étant joints à lui, M. Bourcart, après une hésitation assez naturelle, donna l’ordre d’amener deux pirogues, mais afin de l’observer de plus près, car le Saint-Enoch n’aurait pu s’en approcher sans courir de longs bords.

Lorsque le tonnelier vit les hommes occupés à déhaler les embarcations, il s’avança vers le capitaine Bourcart, et il lui dit non sans quelque émotion :

« Capitaine… capitaine Bourcart… vous voulez…

— Oui… maître Cabidoulin, je veux savoir à quoi nous en tenir une bonne fois…

— Est-ce… prudent ?…

— En tout cas, c’est à faire !

— Va avec eux !… » ajouta maître Ollive.

Le tonnelier retourna à l’avant sans répondre. Après tout, on s’était si souvent moqué de « son serpent de mer » que peut-être ne regrettait-il pas cette rencontre qui allait lui donner raison.

Les deux pirogues, chacune avec quatre matelots aux avirons, dans l’une le lieutenant Allotte et le harponneur Ducrest, dans l’autre le second Heurtaux et le harponneur Kardek, ayant largué leur amarre, se dirigeaient vers l’animal. Les recommandations du capitaine étaient formelles : on ne devait agir qu’avec la plus absolue prudence.

M. Bourcart, M. Coquebert, le docteur Filhiol et maître Ollive restèrent en observation sur la dunette, après que le navire eut été mis en panne. Le tonnelier, le forgeron, le charpentier, les deux autres harponneurs, le maître d’hôtel, le cuisinier, les matelots, se tenaient à l’avant. Quant aux novices, penchés sur les bastingages, leur curiosité se mélangeait d’une certaine appréhension.

Tous les yeux suivaient les embarcations. Elles s’avançaient en douceur, et ne furent bientôt plus qu’à une demi-encâblure du prodigieux animal, et chacun s’attendait à ce qu’il se relevât brusquement…

Le monstre demeurait immobile et sa queue ne battait pas la mer.

Alors on vit les pirogues le longer, puis lui jeter les amarres sans qu’il eût fait un mouvement, puis le prendre à la remorque afin de le ramener au navire.

Ce n’était point un animal marin, mais tout simplement une algue gigantesque dont la racine figurait une tête, semblable à cet immense ruban que le Péking avait rencontré, en 1848, dans les mers du Pacifique.

Et lorsque maître Ollive dit au tonnelier, en ne lui épargnant pas ses moqueries :

« La voilà, ta bête… le voilà, ton fameux serpent de mer !… Un paquet d’herbes… une sargasse… Eh bien… y crois-tu encore, vieux ?…

— Je crois ce que je crois, répondit Jean-Marie Cabidoulin, et on sera forcé de me croire un jour ou l’autre ! »

VIII

La mer d’Okhotsk


Les Kouriles, moins nombreuses que les Aléoutiennes, sont pour la plupart des îlots inhabités. Trois ou quatre, cependant, peuvent être considérés comme des îles : telles Paramouchir, Owekotan, Ouchichir, Matoua. Assez boisées, elles possèdent un sol productif. Les autres, rocheuses et sablonneuses, impropres à toute culture, sont frappées de stérilité.

Une partie de ce groupe est tributaire de