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P. PERRAULT

Et, soudain, Pierre se dit qu’avant même de quitter Dracy, il aurait, au sujet de la sépulture, des dispositions à arrêter. Il croyait se souvenir que les démarches, en pareil cas, étaient assez compliquées. Où se renseigner ? Auprès du maire, du curé ?…

Il avait déjà écrit à ce dernier pour lui demander sa messe du lendemain. Il le verrait, l’office fini, et saurait par lui ce qu’il avait à faire.

Il se coucha enfin, mais il ne put dormir. Un peu avant sept heures, il prenait le chemin de l’église sans avoir averti sa tante, assuré qu’elle aurait quelque malaise à son service pour se soustraire à l’obligation d’un lever si matinal.

Mais il emmena Greg : les prières des enfants, c’est béni, c’est toujours écouté…

Ils marchaient vite, craignant d’être en retard, et ils ne parlaient point, songeurs tous les deux.

Comme ils atteignaient la montée, Pierre s’informa :

« Tu n’as pas entendu mon oncle, cette nuit ! A-t-il appelé souvent ?

— Seulement deux fois. Malauvert m’a dit qu’il avait bien reposé. Il était vieux, monsieur, celui qui est mort ?

— De quatre ans plus jeune que l’oncle Charlot.

— J’ai bien de la peine que vous l’ayez perdu, à cause que je vois que ça vous fait du chagrin.

— Beaucoup, oui, mon petit.

— Tiens, observa Greg, voilà bonne maman et Mlle Gabrielle qui entrent à l’église.

— Sauraient-elles pour qui on dit la messe ?

— Je ne crois pas ; on n’a vu personne de chez elles hier soir ; mais elles y vont souvent, à la messe, dans la semaine ; je les rencontre qui en reviennent quand je pars pour l’école. Elles seront contentes d’y être allées aujourd’hui, ajouta Greg ; elles vous aiment tant ! vous et l’oncle Charlot. »

Ils entrèrent à leur tour.

Dans la petite église nue, pauvre et triste, quelques vieilles femmes en deuil, deux religieuses, Gabrielle et sa grand’mère : c’est tout.

Le prêtre montait à l’autel.

Pierre se mit à genoux, recueilli, le cœur serré, songeant au mort.

Greg pria de toute son âme pour cet inconnu.

Combien de fois, par la suite, il devait se rappeler cette prière !…

Après l’office, Mmes Lavaur rejoignirent Marcenay qui attendait, en se promenant devant l’église, que M. le curé sortît à son tour.

Le jeune homme donna les quelques détails qu’il connaissait sur le triste événement et annonça son prochain départ pour Paris.

« Je vous confie mon oncle, mesdames, ajouta-t-il. Plus que jamais il aura besoin de vous, mademoiselle Gabrielle. Ma tante sera, sans doute, d’excellente humeur, mais bien distraite !…

— Elle paraît compter sur un gros héritage », observa Mme Lavaur.

Pierre eut un geste indifférent.

Cela vous est égal à vous, n’est-ce pas ? fit Gabrielle.

— En ce moment, cette pensée m’est même tout à fait pénible. Aussi vais-je hâter mon départ, afin de ne plus entendre parler argent. Ah ! s’il était venu ! Si d’abord nous en avions profité ensemble !… Mais n’avoir de lui que ses millions, cela ne peut pas me réjouir, oh non ! »

Ils convinrent d’entourer beaucoup M. Saujon, de le distraire, de l’occuper avec des lectures. Pierre conseilla de mettre la table à jouer tout à côté de son fauteuil.

« Je l’ai proposé maintes fois à Mme Caroline, elle n’y a jamais consenti, prétendant que l’attention qu’il prêterait au jeu pourrait le fatiguer, déclara bonne maman.

— Elle a raison, repartit vivement Gaby, mais je me charge de l’oncle Charlot. Entre petit Greg et moi, il ne s’ennuiera pas, ni n’aura le temps de trop ressasser son chagrin : partez tranquille, monsieur Pierre. »

mm(La suite prochainement.)
P. Perrault.mm