Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
P. PERRAULT

jeune homme interrogea Greg à propos de son amusante épître à Guillaume. Le voleur des cinq sous avait été surpris dérobant autre chose dans la case de son voisin ; il avait avoué sa première faute, l’honneur de Greg était sauf de tout point.

« Alors, vous avez fait la paix, tes amis et toi ?

— Avec Guillaume, oui ; avec François, pas encore. Je lui en veux toujours d’avoir cherché à nous brouiller, Guillaume et moi, par un mensonge. Il est venu pour me donner une poignée de main, j’ai refusé.

— Tu as eu tort, Greg. On se doit indulgence entre copains. Si le comte de Trop ne m’avait pas pardonné, autrefois, nous ne serions pas devenus les amis que nous sommes. Et cette amitié-là nous a été si bonne à tous les deux !…

— Vous avez fait du tort à quelqu’un, dans votre vie, vous, monsieur Pierre ? Je ne peux pas le croire. »

Le jeune homme conta l’enfance de Marc et le terrible accident dont, involontairement, lui avait été la cause.

Son petit compagnon l’écoutait attentivement, et, de temps à autre, relevait sur lui son regard noir dont l’expression changeait sans cesse durant ce récit :

« Vous croyiez les billes à vous, et vous avez poussé votre ami sans le faire exprès, déclara-t-il en hochant la tête avec la gravité d’un juge ; tandis que François savait parfaitement m’avoir menti. Alors… comme ça, le comte de Trop est un pauvre être qu’on n’aimait pas du tout chez lui ?

— Tu dis bien vrai, petit Greg.

— Vous les connaissez, vous, monsieur Pierre, ces méchantes gens ?

— J’ai vu M. Aubertin une ou deux fois. Lui est surtout trop sévère. Je crois que c’est une disposition de nature, car il n’était tendre à l’égard d’aucun de ses fils. Il m’a paru aimer Marc tout de même. Pour Mme Aubertin, je ne l’ai jamais rencontrée. Mais nous n’allons pas tarder de faire connaissance ; elle arrive lundi à Chalon et viendra sûrement faire une visite à la sœur de son père.

— C’est bonne maman Lavaur ?

— C’est bonne maman, comme tu dis, fit Pierre en riant.

— Je ne veux pas la voir, cette dame, oh ! non. Vous ne m’y forcerez pas, dites, monsieur ?

— Peut-être… Tu es appelé à vivre avec des gens de toute sorte, mon petit ; il te faut de bonne heure apprendre à dominer tes impressions. Mme Aubertin n’est sympathique à personne de sa famille pour les mêmes raisons qui te font la détester à l’avance. Cependant tu verras tout le monde la bien recevoir par politesse, et aussi parce qu’un hôte est sacré, et que, du moment où on l’admet sous son toit, on lui doit un bon accueil.

— Elle ne sera pas sous mon toit, interrompit Greg les dents serrées, une flamme de colère dans le regard. D’abord… je n’en ai point, de toit, fit-il amèrement ; et, si j’en avais un, j’en chasserais ce mauvais monde. »

Étonné de la violence avec laquelle l’enfant prononçait ces mots, Pierre s’arrêta pour le regarder. Mais déjà le front du gamin s’était éclairci ; il souriait à son protecteur.

Doucement, il prononça :

« Vous, monsieur Pierre, vous êtes le meilleur cœur de toute la terre avec Mlle Gabrielle. Je voudrais bien vous ressembler.

— Oui, Mlle Lavaur est bonne ; mais tu as sous les yeux un autre modèle encore, auquel tu ne songes pas, mon petit ; c’est…

— L’oncle Charlot, n’est-ce pas ? interrompit Greg. Oh ! lui !… lui !… Et quelle patience avec sa…

— Chut ! gamin », fit Pierre, qui voyait poindre la critique de « la vieille dame ».

Greg eut un regard drôle et demanda ingénument :

« De ne pas dire qu’elle est… de dire qu’elle n’est pas… enfin, monsieur, vous savez bien comment elle est… de ne pas le dire, vous pensez que ça y changera quelque chose ?

— Je n’ai pas cet espoir, fit Pierre, amusé. Ce que je ne veux pas, c’est que tu t’accoutumes à exprimer ainsi ton opinion. À quoi bon ? Souffre avec philosophie ce que tu ne saurais empêcher. Moins tu penseras aux petits travers de ma tante, mieux tu les sup-