qué : « Si quelqu’un avait passé sous votre fenêtre tandis que vous m’appeliez voleur, vous, qui ne le sauriez pas, vous ne pourriez lui courir après pour lui dire la vérité, et moi je passerais aux yeux de celui-là pour vous avoir pris quelque chose, et ça resterait malgré tout ! Oui ! oui ! quand même ça n’est pas vrai. » Et ses cris de redoubler : il en a pris la fièvre.
— C’est d’un raisonnement serré, et c’est juste, approuva Gabrielle. Cela me rappelle un peu, comme fond, le papier qu’a perdu ce matin Guillaume, le petit garçon de notre laitière. Je l’ai gardé pour le lui rendre, en remarquant qu’il ne s’agissait pas d’un devoir d’écolier, mais d’une lettre. Elle est d’un tour désopilant. Ne serait-ce pas l’écriture de Greg ? Il me semble l’y retrouver, lui, dans les idées. Où l’ai-je mise ? murmura la jeune fille, vidant ses poches à tour de rôle : Ah ! la voici.
— Vous avez deviné, c’est bien de Greg », fit Pierre qui, au premier coup d’œil, reconnut l’écriture heurtée, ferme déjà, avec une tendance à monter à la fin des lignes, les boucles des o et des a prudemment fermées, qu’il avait étudiée à plusieurs reprises, frappé de ses rapports étroits avec le caractère de l’enfant.
Il riait aux larmes.
« Cela me donne l’explication de l’état dans lequel Greg m’est revenu de l’école avant-hier : un vrai petit coq furieux. Je lui ai demandé ce qu’il avait. Il m’a répondu qu’il venait de se battre à coups de sabot avec un de ses amis. Je dois vous dire que, dès le lendemain de son entrée à l’école, il m’avait annoncé, l’air triomphant, qu’il avait deux amis : deux bons ! Je lui observai, après la bataille, qu’il ne lui en restait plus qu’un. « Et encore… ça dépend… » m’a-t-il répondu. Mes vignerons m’attendaient pour aller marquer les vignes à arracher cet hiver. Ah ! Mademoiselle Gabrielle, qu’il y en a ! fit mélancoliquement Pierre ; mon beau clos de pineau est à moitié perdu ! Je suis donc parti avec eux et j’ai oublié les affaires de Greg. Si j’avais supposé que son honneur fût en jeu, je lui aurais fait conter toute l’histoire ; venant peu après l’accusation de ma tante, le pauvre petit diable a dû penser que le monde entier se liguait contre lui. »
Et, se penchant vers son oncle :
« Écoutez ça », reprit Pierre.
Riant de plus belle, il recommença à haute voix la lecture de l’étonnant billet :
« On m’a dit que tu avais dit que j’avais dit que c’était toi qui avais dit que c’était moi qui avais pris les cinq sous. Non, ce n’est pas moi qui ai dit que tu avais dit que c’était moi qui avais pris les cinq sous. C’est François. Même nous nous sommes battus ; parce que je ne te crois pas capable de m’accuser.
« Et le voleur, je sais qui c’est. Mais je ne veux pas le nommer. C’est lâche de dénoncer les autres.
« Je t’écris parce que je me connais ; au lieu de nous expliquer, je te flanquerais des coups et j’aurais ensuite de la peine de ne plus t’avoir pour ami. Si tu me crois, viens demain avant la classe me donner une poignée de main. Tu sais qui je suis, pas besoin que je signe. »
— Quand il rédigera ses ordonnances, le docteur Chaverny, cela pourra n’être pas éloquent, mais ce sera carré : quel drôle de gamin ! s’écria Gabrielle.
— Il est tout entier dans ce billet, reprit Pierre pensif ; je le retrouve jusque dans cette prudence naïve qui lui a fait supprimer la signature, par crainte justement de ce qui arrive ; que sa prose ne tombe en des mains étrangères. Avez-vous parlé devant lui de votre cousin, depuis que madame votre mère l’a interrogé ?
— Peut-être… je ne me souviens pas ; mais, j’oublie de vous le dire ! Marc n’a pas son congé, le pauvre garçon. Maman a reçu hier une dépêche qu’elle nous envoie dans sa lettre d’aujourd’hui. Un de ses camarades, un sous-officier, est malade.
— Il ne le nomme pas ? interrompit Pierre avec vivacité.
— Non. Un autre est appelé dans sa famille pour la mort d’un parent, et le voilà devenu indispensable, ce cher comte de Trop. Avec cela, nous attendons ma tante lundi », ajouta la jeune fille d’un air ennuyé.