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l’habitude, lors des cérémonies et fêtes, de s’appliquer sur le visage un masque de bois plus hideux encore et qui fait, au moyen de ficelles, d’horribles grimaces ?…

En cette partie de l’île et à l’intérieur, les forêts sont superbes, très riches en pins et en cyprès surtout. Il fut facile de s’y procurer du bois pour le Saint-Enoch. Rien que la peine de le débiter et de le transporter. Quant au gibier, il abondait. M. Heurtaux, accompagné du lieutenant Allotte, put abattre plusieurs couples de daims, dont le cuisinier tira bon parti pour les tables du carré et du poste. Là pullulaient également des loups, des renards, des hermines, très fuyardes et difficiles à capturer, recherchées cependant pour la valeur de leur fourrure, et aussi de très nombreux écureuils à queue touffue.

La plus longue excursion du docteur Filhiol le conduisit jusqu’à Nanaimo, et c’est par mer qu’il s’y rendit sur un petit côtre affecté au service entre les deux villes. Là s’élevait une bourgade assez prospère dont le port offre aux navires d’excellents mouillages.

Le trafic de Nanaimo tend à s’accroître chaque année. Son charbon, d’excellente qualité, s’exporte à San-Francisco, dans tous les ports de l’Ouest-Pacifique, même jusqu’en Chine et à l’archipel des Sandwich. Depuis longtemps déjà, ces riches gisements étaient exploités par la compagnie de la baie d’Hudson.

La houille, — d’ailleurs — plus que l’or — c’est la grande, on pourrait dire l’inépuisable richesse de l’île Vancouver. Nul doute que de riches dépôts ne soient encore découverts. Quant à ceux de Nanaimo, ils n’exigent qu’un travail facile, et lui assurent une réelle prospérité.

Au surplus, l’or de cette région du Caribou, de la Colombie britannique, coûte cher à récolter, et, pour avoir un dollar, il faut, prétendent les mineurs, en dépenser deux.

Lorsque le docteur Filhiol revint de cette excursion, la coque du Saint-Enoch était revêtue d’une nouvelle couche de peinture jusqu’au liston formé d’une raie blanche. Quelques réparations avaient été faites à la voilure et aux agrès, aux pirogues si rudement malmenées parfois par les coups de queue des baleines. Bref, le navire, après son passage au bassin, vint prendre mouillage au milieu du port, et le départ fut définitivement fixé au 19 juillet.

Deux jours auparavant, un navire américain entra dans la baie de Victoria et jeta l’ancre à une demi-encâblure du Saint-Enoch. C’était l’Iwing, retour de la baie Marguerite. On n’a pas oublié les bons rapports établis entre son capitaine et le capitaine Bourcart et non moins cordiaux entre les officiers et les équipages.

Dès que l’Iwing eut été affourché, le capitaine Forth se fit conduire au Saint-Enoch, où il reçut un excellent accueil en reconnaissance de ses bons avis dont on s’était bien trouvé.

M. Bourcart, toujours heureux de faire une politesse, voulut le retenir à dîner. L’heure approchait de se mettre à table, et, sans autre façon, M. Forth accepta l’invitation qu’il comptait rendre le lendemain à bord de l’Iwing.

La conversation fut très suivie dans le carré, où se réunirent M. Bourcart, M. Heurtaux, les deux lieutenants, le docteur Filhiol et le capitaine américain. Elle porta d’abord sur les incidents de navigation pendant la traversée des deux navires de la baie Marguerite à l’île Vancouver. Puis, après avoir dit dans quelles conditions avantageuses il avait vendu sa cargaison, M. Bourcart demanda au capitaine de l’Iwing si la pêche avait été bonne après le départ du Saint-Enoch.

« Non, répondit M. Forth, une campagne des plus médiocres, et pour ma part, je n’ai pas rempli le quart de mes barils… Les baleines n’ont jamais été si rares…

— Cela s’explique peut-être, observa M. Heurtaux, par le motif qu’à cette époque de l’année les petits n’ont plus besoin de leurs mères, et celles-ci comme ceux-là abandonnent la baie pour gagner le large…

— C’est une raison, sans doute, répondit M. Forth. Cependant j’ai souvent fait la pêche dans la baie, et je ne me souviens pas de l’avoir vue si désertée à la fin de juin… Des journées entières se passaient sans qu’il y