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dans l’île de Vancouver et sur les plaines du Caribou de la Colombie britannique.

Il y avait précisément dans le port de Victoria deux bâtiments, le Chantenay de Nantes, et le Forward de Liverpool, que la désertion d’un certain nombre de matelots laissait en grand embarras.

Toutefois M. Bourcart se croyait, autant qu’on peut l’être, sûr de ses hommes. Est-ce qu’ils ne seraient pas retenus par l’espoir de participer aux bénéfices de cette campagne aussi fructueuse pour eux que pour les armateurs du Saint-Enoch ?… Néanmoins, une surveillance assez sévère s’imposait, et les permissions de quitter le navire ne devraient être que rarement accordées. Mieux valait incontestablement donner double ration à bord après une pénible journée de travail, que de voir l’équipage courir les taps et les bars, où les matelots ont bientôt fait de mauvaises connaissances.

Quant à M. Bourcart, il eut, en premier lieu, à s’occuper de placer sa cargaison sur le marché de Victoria. Aussi, dès qu’il eut débarqué, se rendit-il chez M. William Hope, l’un des principaux courtiers de marchandises.

Le docteur Filhiol, n’ayant aucun malade à soigner, aurait tout loisir de visiter la ville et les environs. Peut-être eût-il entrepris de visiter l’île, si les moyens de communication n’eussent manqué. Point de routes, à peine des sentiers à travers les forêts épaisses de l’intérieur. Il serait donc contraint de restreindre le cercle de ses explorations.

Au total, la ville lui parut intéressante comme toutes celles qui prospèrent si rapidement sur le sol de l’Amérique et auxquelles le terrain permet de s’étendre indéfiniment. Bâtie avec régularité, sillonnée de rues qui se coupaient à angles droits, ombragée de beaux arbres, elle possédait un vaste parc, et quelle est la cité américaine qui n’en a pas un et même plusieurs ?… Quant à l’eau douce, elle lui était fournie en abondance par un réservoir établi à quatre lieues de là, et qui s’alimentait aux meilleures sources de l’île.

Le port de Victoria, abrité au fond d’une petite baie, est situé dans les conditions les plus favorables. C’est le point où viennent se raccorder les détroits de Juan de la Fuca et de la Reine-Charlotte. Les navires peuvent le chercher soit par l’ouest, soit par le nord-ouest. Son mouvement maritime est destiné à s’accroître dans l’avenir, comprendra toute la navigation de ces parages.

Il est juste d’ajouter que, à cette époque déjà, le port offrait d’amples ressources aux bâtiments obligés de se réparer après de longues traversées, la plupart fort pénibles. Un arsenal largement fourni, des entrepôts pour les marchandises, un bassin de carénage, étaient à leur disposition.

Le capitaine de l’Iwing avait donné des renseignements exacts à M. Bourcart. Les cours des huiles marines étaient en hausse. Le Saint-Enoch arrivait à propos pour en profiter. Les demandes affluaient non seulement à Vancouver, mais aussi à New-Westminster, importante cité de la Colombie, située sur le golfe de Géorgie, un peu au nord-est de Victoria. Deux baleiniers, l’américain Flower, le norvégien Fugg, avaient déjà vendu leur chargement, et — ce qu’allait faire le Saint-Enoch — ils étaient repartis pour la pêche dans le nord du Pacifique.

Les affaires du Saint-Enoch purent donc être rapidement traitées entre le courtier Hope et le capitaine Bourcart. La vente de la cargaison se fit à des prix qui n’avaient jamais été atteints et qu’elle n’eût point obtenus sur les marchés d’Europe. Il ne s’agissait plus que de débarquer les barils et de les transporter à l’entrepôt, où ils seraient livrés à l’acheteur.

Et, lorsque M. Bourcart fut de retour à bord :

« Heurtaux, dit-il au second, l’affaire est terminée, et il n’y a qu’à se féliciter d’avoir suivi les conseils de cet honnête capitaine de l’Iwing !…

— Huile et fanons, monsieur Bourcart ?…

— Huile et fanons… à une compagnie colombienne de New-Westminster.

— Alors nos hommes peuvent se mettre à la besogne ?…

— Dès aujourd’hui, et, en se déhalant bien,