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Aidé du jusant, il descendit le chenal de la baie Marguerite, et donna en pleine mer.

Des vents propices, soufflant de l’est au sud-est, lui permirent de prolonger la côte avec l’abri de la terre, à quelques milles de cette longue presqu’île de la Vieille-Californie.

M. Bourcart n’avait point envoyé de vigies dans la mâture, puisqu’il ne s’agissait pas de chasser la baleine. Le plus pressé, c’était d’atteindre Vancouver, afin de profiter des hauts cours.

Du reste, on ne signala que trois ou quatre souffleurs à grande distance et dont la poursuite eût été difficile par une mer assez forte. L’équipage se contenta de leur assigner un rendez-vous aux îles Kouriles et à la mer d’Okhotsk.

On compte environ quatorze cents milles jusqu’au détroit de Juan de Fuca, qui sépare l’île de Vancouver des territoires du Washington, à l’extrémité des États-Unis. Avec une moyenne de quatre-vingt-dix milles par vingt-quatre heures, la traversée du Saint-Enoch ne durerait qu’une quinzaine de jours, et il porta toute la toile possible, bonnettes, flèches, voiles d’étais.

Toujours la continuation des heureuses chances qui avaient marqué le cours de cette première campagne.

À peu près au tiers de sa navigation, le navire boulinait à la hauteur de San-Diego, la capitale de la Basse-Californie. Quatre jours plus tard, il était par le travers de San-Francisco, au milieu de nombreux bâtiments à destination de ce grand port américain.

« Peut-être est-il regrettable, dit ce jour-là M. Bourcart à son second, que nous ne puissions traiter à San-Francisco ce que nous allons traiter à Victoria…

— Sans doute, répondit M. Heurtaux, puisque nous serions à destination… Mais le chemin fait est le chemin fait… Si nous devons recommencer la pêche aux approches des Kouriles, nous serons très avancés vers le nord…

— Vous avez raison, Heurtaux, et d’ailleurs les informations du capitaine de l’Iwing sont formelles… À son avis, le Saint-Enochdoit pouvoir aisément se réparer à Victoria et se réapprovisionner pour plusieurs mois. »

Cependant le vent, qui marquait une certaine tendance à faiblir en halant le sud, ne tarda pas à souffler du large. La vitesse du Saint-Enoch fut donc un peu ralentie. Cela ne laissa pas de causer quelque impatience à bord. En somme, on n’en était pas à quarante-huit heures près, et, d’ailleurs, dans la matinée du 3 juillet, la vigie signala le cap Flattery, à l’entrée du détroit de Juan de Fuca.

La traversée avait duré seize jours, — un de plus que ne l’avait estimé M. Bourcart, — le bâtiment n’ayant pas atteint la moyenne de quatre-vingt-dix milles.

« Eh bien… vieux… déclara maître Ollive à Cabidoulin, nous voici à l’entrée du port… et pourtant tu ne cesses de geindre…

— Moi ?… répliqua le tonnelier qui haussa les épaules.

— Oui… toi !

— Je ne dis rien…

— Tu ne dis rien… mais c’est tout comme !…

— Vraiment ?…

— Vraiment… et j’entends que ça te grouille dans la poitrine !… Tu grognes en dedans…

— Et je grognerai en dehors quand ça me plaira ! » riposta Jean-Marie Cabidoulin.

Après les formalités de santé et de douane, le Saint-Enoch vint s’amarrer contre un appontement qui faciliterait le déchargement de sa cargaison.

De toutes façons, son séjour à Victoria durerait une quinzaine. Il ne pouvait repartir avant que son équipage eût procédé à quelques réparations en vue, soit d’une nouvelle campagne dans les régions septentrionales du Pacifique, soit d’un retour en Europe.

Le second, les deux lieutenants, les maîtres auraient donc assez d’occupation pour qu’il fût nécessaire d’y consacrer tout leur temps. Il ne s’agissait de rien moins que de mettre à terre les dix-sept cents barils d’huile. Le capitaine Bourcart devrait, en outre surveiller ses hommes de près. Les désertions sont à craindre en ces contrées fréquentées des chercheurs d’or, des exploiteurs de placers,