Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
COLETTE EN RHODÉSIA

tude, humant l’air vers le nord en exhalant quelques grondements à demi étouffés. Gérard grimpa sur un arbre, explora la plaine et distingua nettement une troupe indigène de cinq à six cents hommes en marche vers la Tour.

Les deux chasseurs s’empressèrent d’en reprendre le chemin pour la mettre en état de défense. Comme ils y arrivaient, ils trouvèrent Martine tout émue.

« Le Guen vous cherche partout !… Il vient de rentrer avec une figure bouleversée et il court maintenant à l’atelier de M. Weber.

— Vous a-t-il dit ce qu’il nous veut ?

— Je crois bien qu’en ramassant des champignons dans le ravin, il a vu quelque chose de suspect, des rôdeurs tournant autour de nos fossés… »

Sans un mot, Gérard et son père se dirigèrent vers l’atelier souterrain. Si rapide et discret qu’eût été le colloque, Mme Massey en avait surpris quelques mots.

« Pourvu que ceci ne nous présage pas encore des malheurs ! soupira-t-elle en portant la main à son pauvre cœur tant de fois éprouvé.

— Eh ! que pouvons-nous craindre, maman, tant que nous sommes ensemble ! dit Colette en courant à elle et la faisant asseoir, tandis qu’elle déposait sur ses genoux Tottie que Goliath lui avait abandonnée.

— Vos trois filles sont avec vous, appuya Lina entourant d’un bras affectueux sa chère tête bouclée. Que pouvons-nous craindre ? »

Et Tottie, comme une petite perruche, répétait gentiment, passant sa main mignonne sur la joue de la grand’mère :

« Pouvons-nous craindre, bonne maman ?…

— Ah ! mes chéries, combien il est vrai que tous les périls sont peu de chose si nous les affrontons ensemble !… »

Cependant, MM.  Massey et Gérard arrivaient à l’entrée de l’atelier souterrain. Le Guen y était en compagnie de M. Weber. Tout de suite il explique son fait.

« Du nouveau !… J’étais, il y a une heure environ, au fond du ravin, assis à terre et en train d’empiler mes oronges dans un panier, quand j’entends à quelques pas de moi, derrière les broussailles qui masquaient ma présence, deux voix dont l’une était sûrement celle de ce chien de Benoni…

— Eh bien ?… que font-ils ?… demandait-elle.

— Ils ne se doutent de rien. L’Anglais prend le frais sur son fauteuil de rotin. L’éléphant gambade avec la môme…

— On le fera bientôt gambader d’autre sorte.

— …Les femmes sont occupées au ménage…

— Et les autres ?

— Le vieux et son fils à la chasse avec le chien. Le Guen et Weber, invisibles…

— Ce serait le vrai moment pour se jeter dans la place, car la nuit il n’y faut pas songer, ils se barricadent… Pourquoi nos drôles ne sont-ils pas encore ici ?… Ceux du sud ont pris leur position ?

— Oui, campés au pied du kopje.

— Ceux de l’est ?

— En place au bord du ruisseau.

— Ceux du nord ?

— En route. Avant une heure ils seront arrivés.

— Tout est bien compris ?

— Tout. À votre coup de sifflet, chacun part au même instant sur trois côtés et s’élance à l’assaut des ouvertures…

« Les voix se sont tues, poursuit Le Guen, j’ai entendu les pas s’éloigner et je me suis hâté d’accourir. Il n’y a pas une minute à perdre.

— Combien de fusils avons-nous ? demanda M. Massey en s’adressant à Weber.

— Onze en parfait état, sans compter vos carabines de chasse. Trois mausers, cinq Martini-Henri, trois snyders à magasin.

— Des cartouches et des balles ?

— Pour tout un bataillon.

— Eh bien ! preste, à l’ouvrage ! Les armes, les munitions, enlevons tout et en place pour la défense de nos remparts !… »

Dix minutes plus tard, les dispositions étaient prises dans la Tour. Á chaque ouverture, sur les trois faces de la vieille forteresse, des obstacles entassés — matelas, meubles et couvertures, — de manière à laisser un jour, une sorte de meurtrière pour le canon d’un fusil… et, sur ce fusil, la main