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ANDRÉ LAURIE

ment par Mme Massey pour servir de nid à Colette devenue Mme Hardouin, les meubles, le linge et les provisions de bouche étaient restés intacts.

À vrai dire, ces ressources, très suffisantes pour un jeune ménage, devenaient singulièrement étroites lorsqu’on énumérait les hôtes auxquels maintenant il s’agissait de pourvoir. Mais quoi ! à la guerre comme à la guerre ! Et les mille soins, la nécessité de s’ingénier, de suppléer par la bonne humeur à ce qui pouvait manquer au confort, vinrent fort à propos faire diversion aux idées noires qui, malgré qu’elle en eût, ne cessaient d’assiéger la pauvre Mme Massey, et qui sont si naturelles à ceux dont la vue s’en va !

Colette étant chez elle, dans son propre domaine, avait résolu de faire des miracles s’il le fallait, et, pour la première fois qu’elle avait des visiteurs, de ne les laisser manquer de rien. Lina et la brave Martine l’aidaient de leur mieux dans, son œuvre. Gérard pour voyait au gibier et l’assaisonnait de tant de bonne humeur que plusieurs jours passèrent sans que personne s’aperçût de la monotonie d’une alimentation de Peaux-Rouges.

Martial Hardouin s’était paisiblement remis à ses études archéologiques, et comme l’air pur qui environnait la Tour semblait avoir du premier coup ranimé le blessé, tout le monde se sentait de bon courage et, supposant que cette situation ne durerait guère que deux ou trois semaines, quatre au plus, on acceptait gaiement les difficultés, et l’on ne prévoyait point de complications.

Tous les matins on tirait le lit du blessé sur la pelouse, au lieu même où Tottie, descendue de son petit hamac, avait voulu à tout prix ramasser des pâquerettes et avait failli payer si cher ce caprice. Là, il aspirait large ment l’air embaumé qui, soufflant de l’ouest, lui apportait avec la santé tous les parfums des coteaux environnants, tantôt prêtant l’oreille à la lecture que sa sœur lui faisait assidûment, tantôt admirant avec elle les ébats de Goliath et de Tottie qui avaient repris leurs jeux sans paraître se souvenir des épreuves récentes.

Pendant que chacun se livrait ainsi à ses goûts ou à ses occupations favorites, M. Weber ne perdait pas son temps, étant de ceux qui ne peuvent pas plus se passer de combiner quelque invention nouvelle que l’abeille de façonner les figures géométriques de sa ruche ou le castor de bâtir sa maison avec la truelle dont la nature l’a pourvu. Dans les dangers, dans la hâte des retraites subites, on l’avait toujours vu fidèle à son instinct, chercher de son gros œil myope quelque chose à agencer, à manipuler, à perfectionner ; et comme ce génie était invariablement tourné vers l’utile ou l’agréable, on en pouvait rire parfois, mais il était impossible de ne pas rendre hommage aux résultats qui en sortaient. Jadis prisonnier chez les Matabélés, ayant trouvé de vieilles carabines hors d’usage, il avait goûté un plaisir d’artiste à les réparer, à les fourbir, à restituer en leur état de neuf ces armes surannées. De même à la Tour, tandis que la vie bruissait au-dessus de sa tête, il se livrait dans son atelier souterrain aux douceurs du travail manuel, entreprenant la construction d’un nouveau canon, qu’il voulait en fonte d’acier, passant en revue l’un après l’autre tous les fusils de la colonie, fabriquant des cartouches, remplissant en un mot les devoirs d’un bon armurier et d’un grand maître de l’artillerie.

Bien lui en prit, et à ses amis, de cette judicieuse précaution, car de nouveaux périls menaçaient la petite colonie.

Il y avait dix jours qu’elle s’était établie à la Tour phénicienne et lord Fairfield devait être considéré comme en bonne voie de guérison. On commençait à parler sérieusement de se remettre en route vers la côte du Mozambique et la seule objection pratique était le manque de provisions de bouche indispensables dans un pareil voyage. Gérard et son père travaillaient activement à y pourvoir en allant chaque jour à la chasse pour fournir aux ménagères les pièces de venaison qu’elles fumaient aussitôt sur de grands feux de branches vertes, sous la direction de Le Guen.

Au cours d’une de ces expéditions, il advint que Phanor donna des signes d’inquié-