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POUR L’HONNEUR

« Ils ne regrettaient pas de rester sans nouvelles de leur ancien pensionnaire, vos amis ?

— Ils n’en disaient rien. »

La voix de Greg tremblait un peu. Il alla se réfugier auprès de Marcenay, espérant couper court à des questions qui l’affolaient, lui faisaient perdre tout sang-froid.

Le voyant secoué d’un frisson nerveux, Pierre le crut pris de la fièvre.

Il se leva.

« Mon petit compagnon de route doit être fatigué du voyage. Il est neuf heures, du reste. À cette heure-là, d’habitude, vous êtes depuis longtemps dans votre lit, mon oncle. »

Le vieillard inclina la tête en souriant. Il serait resté volontiers un moment de plus, mais il n’en manifesta rien.

« Et Mme  Saujon ! s’écria tout à coup bonne maman, ne la verrons-nous pas ce soir ? Je m’attendais toujours à ce qu’elle parût… »

La bonne dame disait cela par politesse : elle y songeait à l’instant pour la première fois !

« Ma tante digère », prononça Pierre d’un ton doctoral.

Puis, riant :

« Elle m’a imposé comme devoir de reconnaissance l’obligation d’apprendre à soigner son estomac. Voici ma première ordonnance : une demi-heure avant les repas, cachet mystérieux — ce n’est que du bicarbonate de soude, je vous le confie — pris dans le recueillement et le repos absolu. J’ai déjà reçu à ce propos les bénédictions de la cuisinière que ma tante allait tarabuster au moment du coup de feu. Pendant le repas, mastication appliquée et persévérante, ce qui l’oblige à peu parler. »

L’oncle Charlot fit entendre un petit rire non exempt de malice.

« N’est-ce pas que nous avons été tranquilles, mon oncle ? »

Le vieillard appela Greg à lui d’un geste caressant et le montra du regard à Pierre.

« L’oncle Charlot veut sans doute que je vous dise combien son nouveau voisin de table a été attentionné.

— Oui, oui, balbutia l’infirme.

— Ma tante a trouvé très doux de n’avoir qu’à s’occuper d’elle. Aussi l’avons-nous laissée toute béate, en face d’une tasse d’un thé préparé de mes mains et que, par ordre du médecin qu’elle s’est choisi en ma personne, elle doit savourer en somnolant, à petite dose. C’est ce qui nous a privés ce soir de sa compagnie », ajouta Pierre avec un grand sérieux.