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POUR L’HONNEUR

serait autour d’elle ; car, depuis les vacances, M. Lavaur venait chaque soir dîner en famille.

On conta à bonne maman l’arrivée de Pierre, la visite promise pour le soir ; puis Gabrielle prit le livre commencé.

Mais peu après son père entra, ce qui interrompit la lecture, rien autre n’existant plus pour bonne maman dès qu’elle avait son fils.

Tandis que M. Lavaur mettait sa mère au courant de ses faits et gestes du jour, Mme Calixte, en visite à Givry chez une amie malade, regagna à son tour le logis.

Et, bien vite, on se mit à table, afin d’avoir dîné et d’être installés au jardin lorsque Marcenay amènerait l’oncle Charlot.

Vers sept heures et demie, toute la famille était groupée au bas du perron, à écouter la confession de Gaby, qui, interrogée sur l’emploi de son temps, s’était résignée à avouer sa course au village.

« Oh ! Gaby ! est-ce possible ! fit sa mère d’un ton mécontent. Toi qui ne sors jamais seule… Et c’est si peu le moment ! Dracy est plein de monde ; tout est ouvert partout. Si pareille idée était venue à Blanche, j’en serais moins surprise, mais toi…

— Que voulez-vous, maman ? la nécessité fait quelquefois sortir les gens de leur caractère.

— Ne pouvais-tu prendre la femme de chambre en passant ?

— Je n’y ai pas pensé. Je n’avais qu’un souci : faire raccommoder la voiture de l’oncle Charlot. Et voyez, j’avais raison, maman ! Il aurait été privé de venir ce soir, si je n’étais allée trouver le charron moi-même.

— Et si les clients qui attendaient se fussent montrés grossiers ? observa M. Lavaur.

— Que ne les avez-vous vus me tirer de grands coups de chapeau, lorsque je suis partie, vous ne feriez pas de telles suppositions, papa. Je venais cependant de leur faire perdre une demi-heure, à ces braves gens !… On sonne : j’aperçois M. Pierre, s’écria la jeune fille, interrompant son plaidoyer. Il amène bel et bien M. Saujon. Ah ! quel bonheur ! Cher vieil ami ! Lui qui ne sort jamais ! Maman, ajouta-t-elle, en se penchant, câline, pour solliciter un baiser, dites que vous me pardonnez. Cela me gâterait mon plaisir de vous savoir fâchée contre moi. »

Rassurée par le sourire indulgent de sa mère, Gabrielle rejoignit Jeanne et Blanche déjà parties à la rencontre des visiteurs afin de les guider vers le point de réunion.

« M. Pierre n’est plus en uniforme », murmura Blanche, désappointée.

Gaby se mit à rire.

« Moi, qui me réjouissais… »

Blanche murmura encore quelques mots, mais Clairon, son chat, lequel se prélassait sur ses bras selon sa coutume, fut seul à les entendre…

Après avoir hésité un moment, Pierre s’était décidé à amener petit Greg : ils poussaient tous les deux le fauteuil roulant.

Le jeune homme présenta son protégé comme un orphelin qui lui avait été confié, et, pour que nulle idée de domesticité ne s’attachât à sa personne, il rendit lui-même à son oncle tous les petits services que réclamait son installation.

Le cercle reformé autour de l’oncle Charlot, voyant Greg un peu esseulé, Jeanne, apitoyée par cette qualification d’orphelin qui représentait à ses yeux un si lourd fardeau de peines, lui proposa :

« Voulez-vous que nous regardions des images, ou bien aimez-vous mieux venir voir les lapins ? Ils sont très drôles, les lapins, tout à fait apprivoisés. »

Greg consulta Pierre du regard.

« Va, mon petit, va », fit celui-ci d’un ton affectueux.

On profita de l’absence des deux enfants pour questionner le jeune homme au sujet de son protégé.

En apprenant qu’il avait été élevé aux Égrats et connaissait Catherine Dortan, Mme Calixte s’écria :

« Mais c’est aux Dortan que nous avions confié Marc après sa fièvre cérébrale. Ah ! il les connaît… Je vais peut-être apprendre par lui le motif qui les a fait agir d’une manière tellement inexplicable autrefois. On