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P. PERRAULT

celle d’amasser une fortune dont ses goûts simples n’avaient nul besoin.

Aussi, à tout hasard, suivait-il le cours avec de Mortagne.

Mais jamais il n’avait décidé quoi que ce fût sans consulter « tante Marie », ainsi qu’il appelait sa marraine, et ce n’est point par lettres qu’une question si grave se pouvait traiter. Ils y emploieraient sans doute bien des heures d’intime causerie durant le congé qu’il comptait obtenir en octobre.

C’est dans ce sens qu’il répondit. Mme Calixte Lavaur reçut la lettre de Marc à la Foussotte, où elle était venue rejoindre bonne maman et Gaby avec ses deux plus jeunes filles sitôt ces dernières entrées en vacances.

Sachant qu’elle aurait à conseiller son enfant d’adoption, discrètement, sans se laisser deviner, elle pressentit Gabrielle au sujet de son cousin.

Aucun obstacle à prévoir de ce côté. Une affection calme, raisonnée, mais très profonde ; beaucoup d’estime, une compassion sans bornes pour les tristesses que l’indifférence des siens avait mises dans la vie du comte de Trop.

« Cela ira tout seul », se dit la bonne marraine.

Elle se croyait d’autant mieux fondée à le penser, que sa fille aînée se rangeait volontiers à l’avis des personnes en qui elle avait confiance, et qu’elle savait tenir le premier rang parmi celles-ci.

Voyant le bonheur de Gabrielle dans cette union, elle ne se ferait aucun scrupule de peser un peu, s’il en était besoin, sur la décision de la jeune fille, qu’elle jugeait plutôt passive.

Sur ce point, la pénétration de la mère se trouvait en défaut.

L’apparente passivité de Gaby n’était que l’acte d’une volonté réfléchie, qui se soumettait librement. Elle possédait, au contraire, un grand fond d’énergie ; mais elle était par-dessus tout bonne et dévouée. C’est dans ce sentiment d’abnégation, pas ailleurs, qu’il fallait rechercher les mobiles de sa conduite.

C’est par affection pour son père, en le voyant se tourmenter, à l’idée de sa vieille mère seule à la campagne, qu’elle avait proposé de suivre bonne maman.

Personne n’avait soupçonné ce qu’il lui en coûtait, tant elle avait mis d’entrain à préparer le départ.

À ceux qui s’avisaient de la plaindre, elle répondait vaillamment :

« Dracy est si proche ! chaque dimanche, chaque jour de congé y ramènera toute la famille : nous ne serons pour ainsi dire pas séparés. »

N’empêche que les premiers mois avaient été durs.

C’est un pieux devoir de se faire, ainsi qu’elle le disait à Pierre Marcenay, « les yeux, les oreilles, la mémoire de bonne maman » ; mais c’est un devoir un peu bien austère, quand on écoute sonner le gai carillon de la dix-huitième année et qu’on entrevoit, dans un avenir tout proche, les premières fêtes de la vie mondaine.

Et d’autant que là-haut, dans leur petit coin de la Foussotte, les visites étaient rares, si l’on en excepte celles de Mme Saujon, qui, chaque après-midi, venait faire sa partie de besigue et tricoter son éternel bas noir en se plaignant de ses maux.

Mais on ne pouvait raisonnablement condamner Gaby à porter sa présence au chapitre des distractions.

Elle l’exécrait, « cette mégère », ainsi qu’elle la qualifiait in petto.

De mal la recevoir, toutefois, elle n’avait garde… Tandis que les deux vieilles dames se disputaient l’enjeu de leur endormante partie de cartes, la jeune fille se faufilait hors du salon et courait rejoindre l’oncle Charlot.

Un accueil peu aimable eût peut-être abrégé les visites de sa femme, et c’est lui qui en aurait pâti ! Aussi poussait-elle la prévenance à l’égard de Caroline jusqu’à disposer à côté de la table à jouer un friand goûter avant de sortir. Elle avait constaté que cela lui assurait une bonne demi-heure de plus à passer auprès de son vieil ami.

Oh ! lui, elle l’aimait de toute sa pitié. Sa joie était de le faire sourire. Elle s’appliquait