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P. PERRAULT

Mme  Calixte Lavaur, durant un voyage en Bourgogne, celle-ci, prise de pitié, proposa de garder l’enfant.

La mère accepta, ravie d’en être déchargée. Marc fut placé au collège de Chalon en qualité d’externe.

Mais, comme il allait sur onze ans, sa marraine, dont la santé fort compromise réclamait alors le Midi, les stations balnéaires des Pyrénées, dut se résigner pour lui à l’internat.

C’est vers cette époque que Pierre Marcenay entra au collège.

Le comte de Trop et lui ne furent pas amis tout de suite.

Très en retard, sa première éducation ayant été totalement négligée et sa santé un peu frêle ne lui permettant guère un effort soutenu, Marc était dans une classe inférieure ; encore ne la suivait-il point sans peine ; toujours au dernier rang, ce qui lui valait, à chaque trimestre, de la part de son père, la menace d’être mis en apprentissage chez un tonnelier.

Loin d’être un stimulant, cette épée de Damoclès, qu’il prenait au tragique, l’obsédait de telle sorte qu’elle le paralysait et lui enlevait le reste de ses moyens.

Un peu plus, il eût été classé parmi les cancres dont il n’y avait rien à attendre.

Pauvre gamin ! Ses camarades ne s’occupaient de lui que pour le taquiner. Ceux qui ne le tourmentaient pas refusaient de l’admettre à leurs jeux, l’estimant trop maladroit ou trop faible.

Durant la première année, Pierre Marcenay fit comme les autres. Sans qu’il sût définir pourquoi, ce visage triste l’agaçait.

L’opposition de sa nature expansive, un peu turbulente, avec le caractère réservé, timide, l’air craintif de Marc Aubertin, contribuait peut-être aussi à les écarter l’un de l’autre.

Quoi qu’il en soit, leurs rapports restèrent aussi vagues, aussi indifférents que peuvent l’être ceux de deux enfants qui vivent sous le même toit et ne sont méchants ni l’un ni l’autre, jusqu’à l’événement qui devait en faire plus que deux amis : deux frères.

L’aventure commença par une dispute, en promenade, à propos de billes que Pierre prétendait lui appartenir et que, de son côté, Marc revendiquait.

« Les tiennes, tu les as oubliées dans la cour, je les ai vues avant de sortir au pied de l’arbre où vous aviez établi le jeu, affirmait Aubertin.

— Avec ça ! Je les ai oubliées, c’est vrai, mais tu les as ramassées, toi ; j’ai reconnu mon agate lorsque tu les as fait sauter dans ta main, tout à l’heure. »

Marc aurait pu en appeler à Évertis, devant qui, le matin, il avait acheté les billes dont Pierre lui contestait la propriété ; mais Évertis était l’un de ses tourmenteurs habituels ; qui sait s’il ne ferait pas l’ignorant pour se donner le plaisir de le mettre aux prises avec Marcenay ?

Autant valait se taire…

On venait de rompre les rangs. Marc en profita pour prendre la fuite. Pierre ne le poursuivrait pas ; voilà justement qu’on l’appelait pour une course d’obstacles ; une fois au collège, retrouvant ses billes à leur place, il serait bien forcé de reconnaître son tort.

Peut-être… Mais, à cette heure, celui-ci se croyait dans son droit. Irrité d’une fuite qu’il regardait comme un aveu, il refusa le jeu proposé, et se lança sur les traces de son camarade.

La chasse avait lieu dans un champ de betteraves. Le terrain montait un peu ; aucun sentier, point de haies ; seulement, là-bas, loin encore, une ligne de verdure derrière une palissade : la clôture du chemin de fer.

Se voyant traqué, Marc donnait toute sa vitesse. Il ne voulait pas être atteint ; ce serait la bataille, c’est-à-dire la défaite : Marcenay était si fort !

On se lasse d’être battu, à la fin !

Lorsqu’il aperçut la ligne d’échalas, un changement de direction n’était plus possible. Et puis, il distinguait à sa droite un point où la haie desséchée lui livrerait passage aisément. Après ?… Il gagnerait le pont et reviendrait, sans rien dire, se mettre sous la protection du maître d’étude qui les surveillait.