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ALBERT FERMÉ

quel évoluent une dizaine d’Arabes à pied, fort déguenillés.

C’est Si-Moufok, le caïd des buffles, avec ses hommes.

Nos chevaux, transportés la veille, nous attendent à quelques pas, sellés et harnachés.

Le caïd nous presse de nous mettre en selle. Les buffles ne sont pas loin.

Nous formons une longue file. Le caïd et ses Arabes vont et viennent d’un bout à l’autre de la colonne, ramenant çà et là un cheval au bon chemin, ce qui n’est pas sans importance, car en beaucoup d’endroits s’ouvrent des fondrières.

Il est temps que je parle de notre caravane.

Elle se compose de dix-huit chasseurs, tous bons fusils. À côté de simples touristes, des savants, des artistes, des militaires, un sénateur, ancien et futur ministre, un consul attaché à la Résidence, — je laisse les noms en blanc.

Je ne présenterai au lecteur que quelques personnes.

Un couple américain : M. Odgers, de Chicago, naturaliste très réputé aux États-Unis ; Mrs Odgers, sa jeune femme, fort gaie, exubérante, porte un costume qui sans doute lui va admirablement, mais que je trouve trop voyant, dangereux peut-être, pour une chasse de ce genre. Comme il n’y a pas à revenir là-dessus, je garde cette observation pour moi.

Nous avons une autre amazone, Mlle Delibes, qu’accompagne son frère, le jeune et célèbre docteur Delibes, de la Faculté de médecine de Paris.

Mlle Delibes a le titre encore peu commun d’avocate, ce qui ne la gêne pas pour être aussi excellente écuyère que Mrs Odgers. Beauté brune au type méridional, en contraste avec la blonde Américaine, qui évoque les portraits de Lawrence.

Derrière l’avocate, un magistrat, M. Ricard, juge de paix de Bizerte.

Puis M. Starkoff, lieutenant d’artillerie russe.

Me voici, précédé de Sélim. Né cavalier comme tout Arabe, l’enfant manie avec aisance un poney plein de feu ; mais il n’a pas de fusil, ce dont il est navré, bien qu’il n’en dise rien. Sur le bateau, il n’a cessé d’examiner mon winchester, de faire jouer la batterie, d’exécuter tous les mouvements du tir.

Il se hausse sur les étriers ; son regard ardent explore les environs et semble crier :

« Où sont les buffles ? »

Le commandant Guiche, des chasseurs d’Afrique, ferme la marche.

Chaque fois que le caïd des buffles se rapproche de lui, Guiche l’examine de la tête aux pieds.

« Eh ! je ne me trompe pas, dit-il enfin. À Laghouat, au 2e spahis, il y a neuf ans…

— Le commandant Guiche ! s’écrie Moufok. Pardon de ne pas vous avoir reconnu le premier, mon commandant. Oui, c’est bien moi, votre spahi Moufok. J’étais tunisien, je suis revenu au pays.

— Tu as fait du chemin ! Compliments, caïd !

— Avec du travail et de la conduite, mon commandant ! »

Guiche se met à rire.

Le caïd des buffles, gardant un beau sérieux, s’éloigne :

« C’était le plus grand chenapan de l’escadron ! » me confie Guiche.

Cependant le soleil est déjà haut sur l’horizon.

Cette marche à travers les buissons de soude, les touffes de lauriers-roses, le long des flaques dormantes, toutes blanches de pyrèthres, devient monotone. Plusieurs fois on a interrogé le caïd :

« Les buffles ? »

Il répond imperturbable :

« Taoua ! (Tout à l’heure, patience.) »

Mais il est abordé par un homme luisant de vase, un envoyé des rabatteurs.

Après avoir entendu cet homme, le caïd nous annonce qu’il faut renoncer à rencontrer les buffles ce matin. Les traqueurs n’ont pu encore les diriger de notre côté.

Ce sera pour l’après-midi.

Nos provisions ont été portées au plateau de la Source — un coin verdoyant que le caïd