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LA PÊCHE EN RIVIÈRE

LA PÊCHE EN RIVIÈRE


À LA FOURCHETTE


Je tenais cette partie de pêche en réserve depuis longtemps. Les vacances étant revenues, j’y ai convié un lycéen de Saint-Louis, sa sœur, une lycéenne de Fénelon, et un jeune collégien de Saint-Maixent ; mais comme il s’agit plutôt d’une chasse très amusante dans le lit d’une petite rivière, personne, je suppose, n’aura peur de se mouiller les pieds. La fourchette remplace ici le harpon des pêcheurs professionnels, et elle a cet avantage sur le sceptre de Neptune d’être d’un usage domestique.

La scène se passe dans un coin perdu de la Sèvre Nantaise, où les cousins de Paris sont venus rejoindre ceux du pays natal, ce qui explique la présence d’un collégien de Saint-Maixent à cette fête ichtyophagique ; moi, arrivé sur les lieux dès la mi-juillet.

La veille du grand jour, à l’ombre d’un platane, il m’a plu de présenter à mes jeunes voisins du quartier de l’Odéon les victimes de la friture qui nous attend, une fois pris notre bain de pieds, avec chacun un petit sac de toile à la main pour déposer le produit de notre pêche. Seulement, gare les glissades ! « C’est pourquoi, leur ai-je recommandé, à défaut de sabots dans lesquels nous serions, du reste, fort mal à l’aise, n’étant point nés là dedans, je vous engage à chausser quelque paire de vieux souliers. »

Voici d’abord messire chabot qui vous fait la révérence, messire chabot qui a presque autant de noms qu’un grand d’Espagne, inclus ceux de bavard, de cafard et de têtard, qui manquent de courtoisie, outre qu’ils ne sont guère justifiés par les mœurs de cet acanthoptérigien, nom d’une famille piscicole à laquelle les ichtyologistes l’ont rattaché à son insu, le chabot n’ayant aucun point de contact avec les percoïdes.

Signalement : tête énorme, yeux rouges, joues cuirassées, peau visqueuse sur un corps de siluroïde, mais chair exquise, saumonée, qui appelle la poêle à frire et un jus de citron au sortir d’icelle. Pourtant feu Roret soutient qu’on ne mange pas le chabot ; injure gratuite. Plus grave est l’erreur qui fait de ce poisson une progéniture encore imparfaite de la grenouille, en lui jetant au front le sobriquet de têtard.

Signe particulier : quand vient le temps du frai, c’est-à-dire de la ponte des œufs, le chabot creuse un nid dans le sable avec son nez en forme de pelle, et y amène une ou plusieurs pondeuses avec lesquelles il s’évertue à faire le beau, sans y parvenir, hélas !… lui surveillant l’éclosion des petits chabots et prenant souci de leurs premiers ébats. Ceux-ci, d’ailleurs, n’ont à subir aucune métamorphose. Alors, pourquoi têtard ? Pouce-de-Meunier, à la bonne heure ! Car on lui donne encore ce surnom, ici et là, et ce dernier m’agrée tellement que je le décore d’une double majuscule. La légende que voici est une leçon de choses :

« Tout le monde sait que la science et le tact du meunier sont portés sans relâche à régulariser la machine du moulin, afin que la farine soit toujours fabriquée avec toute la perfection dont l’outillage est susceptible. Profit ou perte, fortune ou ruine, dépendent de l’ajustement parfait des différentes parties de la mécanique. L’oreille du meunier est toujours en éveil sur le bruit que fait la meule roulante en contact avec la meule dormante, le parallélisme de leurs surfaces s’indiquant par un son particulier dont la perception attentive révèle le vrai meunier.

« C’est pourquoi la main du maître est constamment placée sous l’auget à farine pour s’assurer, par un contact renouvelé, si la mouture tient les promesses, soit du froment, soit du méteil.

« Le pouce, par un mouvement spécial, froisse cet échantillon sur les doigts. Le pouce,