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rible monstre marin… le grand serpent de mer…

— Que vous ne verrez jamais !… affirma M. Filhiol.

— Et pourquoi ?…

— Parce qu’il n’existe pas !… J’ai lu tout ce qu’on a écrit sur ces prétendus monstres marins, et, je vous le répète, votre serpent de mer n’existe pas !…

— Par exemple ! » s’écria le tonnelier d’un ton si convaincu qu’il eût été inutile de discuter à ce sujet.

Bref, après de pressantes instances, décidé finalement par les hauts gages que lui offrit le capitaine Bourcart, Jean-Marie Cabidoulin se résolut à faire une dernière campagne de pêche, et, le soir même, il portait son sac à bord du Saint-Enoch !


Jules Verne.

(La suite prochainement.)



UN PREMIER COUP DE FUSIL

NOUVELLE

I


Nous l’aurons, notre chasse aux buffles.

Tout est prêt.

Demain, à pointe d’aube, rendez-vous général des touristes au port de Bizerte. Une chaloupe à vapeur sera là pour nous transporter au Djebel-Ichkeur.

C’est le père Mourad qui, complaisamment, est venu m’annoncer cela au Grand-Hôtel de Tunis.

Pendant qu’il me donne ces renseignements, je considère sa grosse figure encadrée d’un rond de barbe blanche où s’épanouit un sourire aimable, paterne, — et je songe… je songe que ce modèle des bureaucrates est le descendant des derniers deys d’Alger.

Mourad est accompagné de son petit-fils. Ce garçon de douze à treize ans a, dans sa veste orientale, une tournure dégagée, hardie ; ses yeux bruns examinent mon équipement, mes armes, avec une curiosité passionnée.

« Ce sera un chasseur ! dis-je à Mourad.

— Eh ! eh !… pour le moment, Sélim est un écolier, un élève du collège Sadiki.

— Monsieur, emmenez-moi ! je voudrais tant voir les buffles ! »

Le grand-père se rebiffe ; Sélim supplie ; je me joins à lui. Enfin la permission est octroyée, mais sous cette condition expresse que l’enfant ne se mêlera pas à la chasse, qu’il ne touchera pas à une arme chargée.

… Le Djebel-Ichkeur, au pied duquel nous venons de débarquer, est une montagne de forme bizarre : elle ressemble à un bonnet pointu mis de travers ; un large ruban de marécages l’entoure, la garâa, le domaine des buffles qu’on appelle les buffles du bey et qui vivent à l’état sauvage.

Ils ont cependant des gardes, dont le chef possède le titre de caïd des buffles.

On n’arrive pas tout de go au Djebel-Ichkeur. Il faut d’abord traverser le lac de Bizerte jusqu’à l’embouchure d’une rivière, l’oued Tinga ; cette rivière, remontée pendant plusieurs kilomètres, vous conduit à la garâa d’où elle sort.

Il s’agit alors d’aborder ; ce qui n’est pas commode, d’ordinaire.

Pour nous, cela n’a présenté aucune difficulté, l’excessive sécheresse de l’année ayant transformé une bonne partie de la garâa en terre ferme. Au débarquer, parmi les ruines de thermes romains, nous sommes reçus par un cavalier en burnous bleu, un personnage tout en longueur, une figure donquichottique, — il me fait l’effet d’un héron, — autour du-