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COLETTE EN RHODESIA

ici, près de la nôtre ?… Nous nous protégerions mutuellement…

— Non, jeune dame. Le pays a besoin de tous ses fils. Vous seriez la dernière, j’en suis sûr, à me conseiller de l’abandonner dans son pressant besoin.

— Mais Nicole ?… où est donc ma petite Nicole ?… reprit Colette en s’essuyant les yeux. Comment se fait-il que je ne la voie pas au milieu de vous ? »

Un sanglot s’échappa de la poitrine de dame Gudule.

« Dieu nous vienne en aide !… s’écria-t-elle en gémissant. Voyez, chère dame, le malheur qui nous a frappés avant-hier, presque au début du voyage !… »

Et tandis que tous se pressaient autour du wagon, qu’Agrippa et Cadet Mauvilain aidaient Colette à y monter, on vit la pauvre Nicole, la fille aînée du fermier, couchée sur un matelas, le visage enflammé de fièvre, les yeux lourds, plongés dans une sorte de stupeur.

« Qu’est-il donc arrivé ? s’écria le docteur Lhomond. Cette pauvre enfant paraît tout à fait malade !

— Elle est tombée, monsieur le docteur ! Son pied a tourné sur une pierre roulante, et quand ses frères l’ont relevée il lui a été impossible de se soutenir… répondit en pleurant dame Gudule. Elle a, bien sûr, la jambe cassée…

— La jambe cassée ! s’écria Colette. Mais alors il est impossible qu’elle continue le voyage !

— Elle souffre mille morts !… dit la digne mère en sanglotant. Chaque cahot, le moindre heurt lui arrache un cri et, depuis son accident, à peine si quelques gouttes d’eau ont passé ses lèvres… Ô ma Nicole, ma fille chérie, mon aimée, faut-il que je te voie mourir sans secours sous mes yeux !… »

Les Mauvilain contemplaient d’un œil sombre le groupe éploré de la mère et de la jeune fille.

« Puisse son sang innocent retomber sur la tête de ses bourreaux, prononça le vieux Boer d’un ton farouche. Si l’enfant meurt, Cecil Rhodes l’aura tuée !…

— Il n’est pas question de mourir, par bonheur, dit le docteur Lhomond qui avait procédé à un rapide examen de la jambe blessée. Il s’agit d’une simple luxation, mais pour laquelle le repos absolu dans un lit est impérieusement commandé.

— Oh ! mon Dieu !… mon Dieu !… gémit dame Gudule. Que devenir ?… que faire ?…

— Il faut à coup sûr que Nicole au moins reste parmi nous jusqu’à guérison complète, dit Colette avec décision. Monsieur Mauvilain, vous ne pouvez refuser de nous la laisser, elle, si vous ne consentez point à demeurer tous auprès de nous en attendant qu’elle soit en état de poursuivre sa route…

— Combien de temps cela demanderait-il ? s’informa le Boer.

— Deux semaines au moins avant que Nicole se meuve librement », répliqua le docteur.

Le Boer eut un geste de découragement. « Deux semaines !… Impossible ! Nous devons y renoncer.

— Mais vous ne sauriez l’emmener dans cet état ! s’écria Colette.

— Et pourtant, la quitter… La laisser derrière nous !… gémit la pauvre mère.

— Ne pourrait-on — monsieur le docteur Lhomond ne pourrait-il réduire la luxation et ma sœur continuer la route ? suggéra Agrippa Mauvilain.

— Ce serait encourir la responsabilité la plus grave, et la nécessité seule nous forcerait à recourir à cet expédient, prononça le docteur. Le mal a empiré pendant les quarante-huit heures qui se sont écoulées depuis l’accident. Les tissus sont enflammés ; je ne réponds de rien, si elle n’a pas le repos, — le repos absolu, je le répète. Il est indispensable.

— Dame Gudule… ne pourriez-vous rester auprès d’elle ? demanda Colette en prenant tendrement les mains de la pauvre mère.

— Hélas !… quitter mon mari… mes fils… mes petits enfants ?… Est-ce possible ?… Non, ma place est auprès d’eux !…

— Il est écrit : La femme quittera ses parents et suivra en tous lieux son époux, dit solennellement le Boer. Allons, femme,