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JULES VERNE

m aussi ?... Et, en effet, après dix heures, il •n’y eut personne à signaler certains feux

suspects qui se déplaçaient à la lisière de la grande forêt. II

Les feux mouvants.

Une distance de deux kilomètres au plus séparait le tertre des sombres massifs au pied desquels allaient et venaient des flammes fuligineuses et vacillantes. On aurait pu en compter une dizaine, tantôt réunies, tantôt isolées, agitées parfois avec une violence que le calme de l’atmosphère ne justifiait pas. Qu’une bande d’indigènes eût campé en cet endroit, qu elle s’y fût installée en attendant ie jour, il y avait lieu de le présumer. Toute­ fois ces feux n’étaient pas ceux d’un campe­ ment. Ils se promenaient trop capricieuse­ ment sur une centaine de toises, au lieu de •se concentrer en un foyer unique, d’une halte de nuit. Il ne faut pas oublier que ces régions de d’Oubanghi sont fréquentées par des tribus nomades, venues de l’Adamaoua ou .du Barghimi à l’ouest, ou même de l’Ouganda à l’est. Une caravane de trafiquants n’au­ rait pas été assez imprudente pour signaler sa présence par ces feux multiples, se mou­ vant au milieu des ténèbres. Seuls, des indigènes pouvaient s’être arrêtés à cette place. Et qui sait s’ils n’étaient pas ani­ més d’intentions hostile^ à l’égard de la caravane endormie prés du tertre des tama­ rins ? Quoi qu’il en soit, si, de ce chef, quelque <Janger la menaçait, si plusieurs centaines de Pahouins, de Foundj, de Chiloux, de Bari, de Denka ou autres n’attendaient que le moment «de l’assaillir avec les chances d’une supério­ rité numérique, personne, — jusqu’à dix dieu res et demie du moins, — n’avait pris aucune mesure défensive. Tout le monde dor­ mait au campement, maîtres et serviteurs, et, ce qui était plus grave, les porteurs, chargés de se relever à leur poste de sur­ veillance, étaient plongés dans un profond sommeil. Très heureusement le jeune indigène couché .près de John Cort et de Max Iluber se réveilla.

Mais nul doute que ses yeux ne se fussent refermés à l’instant s’ils ne s’étaient dirigés vers l’horizon du sud. Sous ses paupières demi-closes il sentit l’impression d’une lu­ mière qui brillait, au milieu de cette nuit très noire. II se détira, il se frotta les yeux, il regarda avec plus de soin... Non ! il ne se trompait pas : des feux, épars sur la lisière de la forêt, se mouvaient alors à deux kilomètres de distance. Llanga eut la pensée que la caravane allait être attaquée. Ce fut de sa part tout instinc­ tif plutôt que réfléchi. En effet, des malfai­ teurs se préparant au massacre et au pillage n’ignorent pas qu’ils accroissent leurs chances lorsqu’ils agissent par surprise. Ils ne se laissent pas voir avant d’agir et ceux-ci se fussent signalés !... L’enfant, ne voulant pas tout d’abord ré­ veiller Max Iluber et John Cort, rampa sans bruit vers le chariot. Dés qu’il fut arrive près du foreloper, il lui mit la main sur l’épaule, le tira de son sommeil, et, du doigt, lui montra les feux de l’horizon. Khamis se redressa, observa pendant une minute ces flammes en mouvement, et, d’une voix dont il ne songeait point à adoucir l’éclat : « Urdax ! » dit-il. Le Portugais, en homme habitué à se déga­ ger vivement des vapeurs du sommeil, fut debout en un instant. « Qu’y a-t-il, Khamis ?... — Regardez ! » Et, le bras tendu, il indiquait la lisière illuminée au ras de la plaine. « Alerte !» cria le Portugais de toute la force de ses poumons. En quelques secondes le personnel de la caravane se trouva sur pied. Tout d’abord les esprits furent tellement saisis par la gravité de cette situation que personne ne songea à incriminer les veilleurs pris en défaut. Il était certain que si Llanga ne s’était pas ré­