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SANS AMIE

voir les autres enfants se grouper autour de maman, qui avait de la peine à répondre à tout le monde à la fois, mais trouvait cependant le moyen de rattacher des lacets de soulier, de consolider des petits paquets, de refermer un panier maladroitement déballé… Puis enfin le dernier coup d’œil sur le wagon : Angèle installée sur les genoux de Mme Fouré, et Armandine, debout sur la banquette, qui faisait avec son mouchoir un petit lapin pour distraire toute la bande…

Ces souvenirs donnèrent à Marie un entrain extraordinaire pour ses travaux avec Mme de Clermont. Son père, qui s’intéressait à ce développement nouveau de sa fille, tint à offrir à celle-ci une serviette digne de ses fonctions de secrétaire, et rien ne l’amusait comme de voir l’air sérieux dont la fillette enfermait dans la vaste poche de maroquin ses feuilles de papier buvard, son transparent et les lettres venues de l’Ariège qu’elle empruntait à Mme de Clermont pour les lire à ses parents. C’était toujours elle qui dépouillait le courrier des montagnards et qui en donnait lecture à sa vieille amie obligée parfois de ménager sa vue, et bien vite elle en vint à s’intéresser à d’autres qu’à ses protégées particulières ; son excellente mémoire lui permit plus d’une fois de rappeler quelques détails à l’attention un peu surmenée de la présidente, et sa fraîcheur d’impressions fournissait à celle-ci une agréable diversion. Elle avait pris en grippe certain bonhomme grincheux dont les lettres étaient un vrai chapelet de plaintes, et son indignation contre le vieux père Grognibus, comme elle l’appelait, amusait toujours Mme de Clermont.

Malgré tout, c’étaient Angèle et Armandine qui restaient ses préférées, aussi fut-elle ravie de voir arriver un matin une lettre d’une grosse écriture parfaitement formée qui sentait bien son école primaire : c’était une missive d’Armandine Noël :


« Ma chère bienfaitrice,

« J’ai déjà écrit trois fois à mes chers parents et je leur ai dit bien des choses pour vous, mais maman Alexandrine m’a expliqué qu’il fallait toujours écrire à sa bienfaitrice. J’ai donc à vous dire que nous allons très bien et que nous sommes contentes au possible. Angèle a eu peur des vaches et des chèvres rapport à leurs cornes, et elle aime mieux les poules et les poussins et c’est elle qui leur porte le maïs. Je vous dirai aussi qu’Angèle déniche parfaitement bien les œufs et que maman Alexandrine lui permet quelquefois de les casser pour l’omelette ; c’est la récompense de la sagesse. Et je vous dirai qu’Angèle ne pleure plus quand elle doit manger quelque chose comme chez nous, où elle n’avait jamais d’appétit ; ce serait plutôt tout le contraire, car l’autre jour elle a dit comme ça à la collation : « J’ai mangé seulement deux tartines de fromage frais et je ne veux pas qu’Armandine en mange trois. » Et quand elle a vu que je mangeais la troisième, elle a pleuré parce qu’elle n’avait pas assez faim pour faire comme moi…

« Je n’ai plus rien à vous raconter et je reste, ma chère bienfaitrice en vous disant mille fois merci,

« Votre dévouée servante,

« Armandine Noël. »


Le plaisir suprême de l’été pour Marie, ce fut de voir de ses yeux l’installation des petites Toulousaines. Un conflit, né d’un incident sans importance, s’éleva entre Mme Fouré et le « père Grognibus » et, celle-ci manquant d’autorité, la chose risquait de s’allonger et de s’aggraver. M. Larivière, qui avait adopté de tout cœur l’œuvre des enfants à la montagne, s’offrit à régler lui-même le différend. Mme de Clermont, ravie d’amener à son comité un inspecteur bénévole de cette valeur, s’empressa de lui donner pleins pouvoirs, et il fut décidé que Marie accompagnerait son père.

« Cette enfant-là, disait-il, est un répertoire ambulant ; sans elle je ne me tirerais jamais de tous ces noms de fermes et de fermiers. »

Mme Larivière trouvait que la chaleur de Toulouse énervait la fillette et il lui semblait qu’elle avait besoin d’un changement d’air