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SANS AMIE

ramasser des pois comme Armandine », répondit-elle enfin aux questions de son entourage, et un sanglot souleva une fois de plus le cœur gonflé.

La mère expliqua que, depuis le retour de la chaleur, son Angèle avait perdu l’appétit, que sa sœur, en parlant sans cesse des bonnes choses qu’on lui avait données à la ferme, augmentait encore son dégoût pour la nourriture quotidienne :

« Elle languit après la montagne, la pauvre, quoiqu’elle n’y ait jamais été. »

Marie jeta sur sa mère un regard suppliant que celle-ci comprit parfaitement, mais la promesse sollicitée ne vint pas. Mme Larivière se borna à remettre à Mme Noël une petite note contenant les instructions pour le voyage, et quitta la loge en annonçant que Marie reviendrait bientôt savoir des nouvelles d’Armandine.

« Oh ! maman ! s’écria Marie dès qu’elle fut dans la rue, pourquoi n’as-tu pas dit qu’on enverrait aussi la petite Angèle à la montagne ? Elle en a certainement plus besoin que sa sœur ; quand on peut sauter comme ça, on ne doit pas être bien faible. Je n’ai jamais vu rien de si misérable que cette figure et ces bras maigres ! Et pendant que les autres faisaient chacune quelque chose pour la consoler, nous, nous étions là sans rien dire.

— Chère enfant, répliqua Mme Larivière, nous n’étions que des messagères, nous ne devons pas engager ces dames, faire des promesses peut-être irréalisables. »

Marie ne répondit rien, mais elle prit vis-à-vis d’elle-même un engagement solennel, celui de trouver le moyen d’envoyer Angèle respirer l’air pur et boire le bon lait de Boussenac.

Chez Mme Fouré, les choses se passèrent tout autrement : la petite Juliette n’avait jamais quitté sa mère, et l’idée d’un voyage avec des inconnus, d’un séjour chez des étrangers ne lui souriait nullement. Marie essaya de l’allécher en lui racontant la joie d’Armandine et en lui parlant des vaches, des bois où l’on cueillait des framboises…

« J’aime mieux maman », répondait la pauvrette en s’accrochant au tablier maternel. Et la vieille grand’mère, qui n’avait plus bien ses idées, après avoir demandé de quelle manière on faisait le voyage, se mit à répéter comme un refrain :

« Le chemin de fer, ah ! la mauvaise mécanique ! Il ne faut pas mettre les enfants au chemin de fer, c’est une mauvaise mécanique, une mécanique bien mauvaise. »

Mme Fouré seule accueillit joyeusement l’offre du comité, le médecin lui ayant toujours dit que le grand air ferait plus de bien à son enfant que des litres d’huile de foie de morue ou de vin de quinquina ; elle promit que la petite serait à la gare à l’heure dite avec son mince bagage.

Il n’y eut pas à presser Marie pour la faire rentrer à la maison ; elle marcha d’un pas alerte qui ne ressemblait en rien à l’allure languissante adoptée depuis l’arrivée à Toulouse ; il lui tardait de rendre compte de la mission dont elle s’était acquittée et de plaider la cause de sa protégée particulière. Grande fut sa déception en apprenant que Mme de Clermont avait été obligée de sortir.

« C’est toujours comme cela. Ces dames ont fait des embrouillages pour le départ des petites filles, et c’est la pauvre madame qui doit réparer les boulettes des autres. »

Un peu plus tard, second désappointement : la vieille dame était rentrée si lasse de ses courses qu’elle s’était couchée et ne pouvait voir personne.

Le lendemain matin, Marie sauta de son lit au premier appel et se tint prête à descendre aussitôt que Mme de Clermont paraîtrait dans son jardin ; sa mère consentait à retarder, pour une fois, l’heure de la leçon.

« Ma chère petite, dit la bonne dame, vous voyez une personne bien ennuyée, bien perplexe. Je croyais toutes les mesures prises pour demain, et voilà que la demoiselle sur qui je comptais n’est pas disponible : une de nos dames avait compris que le départ n’aurait lieu que lundi. Il faudra prévenir tous les enfants et télégraphier à nos gens de là-haut qui devaient venir les uns à une gare, les autres au-devant d’une diligence. Il va y