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F. DUPIN DE SAINT-ANDRÉ

est arrivé un don spécial pour deux de plus, et les offres de places à la montagne dépassent nos demandes. Il s’agit donc de choisir parmi les candidates les deux qui ont le plus besoin de quitter la ville. On m’a signalé une certaine Armandine Noël qui a été passer un mois dans l’Ariège l’été dernier, mais qui, à la suite d’une mauvaise bronchite, se trouve de nouveau très affaiblie ; on m’adresse, d’un autre côté, une demande pour une petite Juliette Fouré, la fille d’une veuve très pauvre. Il m’est impossible d’aller aujourd’hui prévenir les mères qui demeurent assez loin d’ici, et pourtant la chose presse. Ne pensez-vous pas que votre Marie aurait du plaisir à porter à ces deux petites filles une nouvelle qui sera certainement accueillie avec bonheur ? Inutile de vous dire qu’il n’y aura ni danger, ni inconvénient pour votre enfant à entrer dans ces deux maisons qui sont propres et bien tenues. »

Mme Larivière se déclara prête à conduire Marie auprès d’Armandine et de Juliette. Restait à mettre l’enfant au courant des propositions de Mme de Clermont. Ce fut une joie pour cette dernière de voir la reconnaissance charmée de la fillette.

« Oh ! madame, que vous êtes bonne de vouloir de moi pour votre petite amie ! Et que je serai contente de vous aider ! Et combien j’aime mieux aller chez ces petites filles que de retourner à cette ennuyeuse musique du Grand Rond où je ne connais personne et où des garçons impolis se sont moqués de moi en disant que je parlais pointu ! »

Malgré cette déclaration, Marie eut un air fort embarrassé lorsqu’elle se trouva dans une étroite loge de concierge de la rue Pharaon, en présence de Mme Noël et de ses filles aînées occupées toutes trois à des ouvrages de couture. Elle n’aurait jamais osé entrer en matière, si Mme Larivière ne lui avait pas facilité la chose par un mot sur Mme de Clermont.

À ce nom, les visages s’illuminèrent.

« Quelque bonne nouvelle, sans doute », dit la mère.

À peine Marie eut-elle transmis son message, qu’une petite noiraude très pâle et très maigre surgit tout à coup au milieu de la loge.

« Oh ! mademoiselle, dites-le encore ! cria-t-elle dans ce drôle de parler toulousain qui amusait toujours Marie. C’est bien vrai qu’on veut de nouveau m’envoyer à la montagne ? Si vous savez chez qui, dites-le moi, pour l’amour de Dieu !

— Je crois que ce sera dans la même famille que l’an dernier…

— Oh ! quel bonheur ! quel bonheur ! et Armandine se mit à sauter dans la loge encombrée. Je mangerai du pain de maïs et de la bonne soupe aux choux et de l’oseille toute fraîche ! Papa Florentin m’emmènera à la forêt ramasser des framboises. J’aiderai maman Alexandrine à traire les vaches et je boirai du lait chaud ! Je garderai les chèvres avec Jeannette !

— Ne fais pas la folle comme ça, dit la mère ; tu vas marcher sur les pieds de ces dames. Il faut l’excuser, mesdames, je vous prie. Pensez donc, une enfant qui ne sort que pour aller à l’école et quelquefois, pas souvent, jusqu’au moulin du Bazacle à la rencontre de son père… »

Marie n’écoutait pas ces explications ; elle était préoccupée d’un bruit venant de la chambre d’où avait bondi Armandine, de petits reniflements mêlés à de faibles soupirs, et tout à coup un sanglot éclata, un sanglot désolé, un de ces sanglots d’enfant qui font du mal à entendre.

« C’est Angèle ! » dit la mère en se levant. Mais une des grandes jeunes filles avait déjà passé dans la pièce à côté et elle en ramenait une petite créature, encore plus pâle et plus maigre qu’Armandine et dont le pauvre visage était couvert de larmes. Mme Noël prit sa benjamine sur ses genoux et l’embrassa, l’aînée des sœurs lui offrit quelques cerises, la seconde lui promit de lui raconter une histoire, et Armandine, qui avait attrapé un gros chat couché dans les cendres, lui faisait danser une sorte de polka grotesque, mais aucun de ces moyens ne réussissait à arrêter les pleurs de la petite.

« Je voudrais voir les vaches et les chèvres… je voudrais boire du bon lait… je voudrais