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SANS AMIE

SANS AMIE



Une fillette de douze ou treize ans était installée près d’une fenêtre ouverte d’où elle surveillait avec intérêt les mouvements d’une dame à cheveux blancs qui allait et venait dans un jardin plein de fleurs.

La jardinière improvisée plantait de petits héliotropes en bordure autour d’un massif de géraniums blancs et roses, et l’adroite façon dont elle renversait chaque vase pour en frapper le rebord contre une des marches du perron, puis déposait la motte dans le trou préparé à l’avance, excitait l’admiration de l’enfant. Un léger accident se produisit à la huitième opération : la plante avait dû être mise en pot trop récemment, car la motte n’était pas compacte comme les autres, et elle s’émietta sous les doigts, laissant à nu la racine entière…

Une exclamation échappa à la fillette :

« Oh ! quel dommage ! c’était le plus joli ! »

La vieille dame leva la tête avec un sourire :

« Vous voilà de bien bonne heure à votre poste, mademoiselle Marie ? dit-elle. Si le jardinage vous intéresse tant, demandez donc à votre maman la permission de me rejoindre. Vous verrez mieux et vous pourrez m’aider. »

En un instant, la petite fille fut en bas, mais elle s’arrêta dans son élan et se présenta timide et souriante :

« Maman m’a chargée de vous remercier mille fois, madame ; elle est enchantée que je puisse prendre l’air et m’amuser. C’est aujourd’hui jeudi et, au lieu de me faire travailler, elle est occupée à serrer ses lainages et elle ne veut pas que je l’aide, parce que le poivre me fait tousser.

— Prendre l’air, dit la dame, à la rigueur, le jardin n’est pas bien grand, mais vous amuser, c’est autre chose ! Enfin, essayons ; vous pourrez arroser à mesure que je planterai ; tenez, remplissez cet arrosoir-là ; il est léger et ne vous fatiguera pas. »

La petite Marie se mit tout de suite à l’œuvre en personne habituée à ce genre de travail et, tout en faisant tomber l’eau en fine pluie, elle entama l’éloge du jardin, de la pelouse, des fleurs.

« Papa aurait bien aimé trouver un appartement comme le vôtre ; à Angers nous avions un rez-de-chaussée, nous aussi, et un très joli jardin, mais il paraît qu’à Toulouse il y en a peu. Papa a visité trente-cinq ou quarante maisons avant de voir celle-ci, et, s’il s’est décidé à y louer le premier, c’est à cause de votre jardin et du boulevard, pour que nous ayons de l’air, maman et moi.

— Il n’est pas bien gai, le boulevard Saint-Pierre, avec ce grand vilain mur de l’arsenal…

— Oui, mais il y a les arbres ; maman dit qu’il faut les regarder et ne pas penser au mur ; mais j’ai beau faire, je le vois tout de même. »

Marie Larivière causait pour la première fois avec Mme de Clermont, l’aimable voisine qui de toutes sortes de manières avait aidé la mère de l’enfant pendant les jours difficiles de l’installation dans une ville inconnue pour elles et très différente de la dernière résidence. Mais elle l’avait tant regardée, s’était si complètement associée à ses petits travaux de jardinage qu’il lui semblait la connaître déjà.

D’ailleurs le front paisible, les yeux très doux, le sourire indulgent de la vieille dame avaient quelque chose qui appelait la confiance.

Au bout de dix minutes, les plantations finies et l’arrosage terminé, Marie, assise sur un banc à côté de Mme de Clermont, racontait les chagrins du départ, les illusions de l’arrivée et les déceptions du moment présent. Bien gros, ces chagrins, bien amères, ces déceptions : Marie avait laissé à Angers deux cousines très aimées, trois amies archi-intimes, quatre intimes seulement, et cinq autres amies, pas intimes du tout, mais gentilles quand même, des amies du cours Massot.