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A. MOUANS

« Ah ! je comprends, vous grimpez là-haut pour leur faire visite. »

Cette fois, sans laisser à sa compagne le temps de répondre, Nadine intervint :

« Tais-toi donc, Philippe. Si maman et papa t’entendaient, tu n’oserais pas dire ces choses désagréables.

— Et pourquoi cela, mademoiselle ?

— Parce qu’ils veulent que nous soyons polis : Irène t’a rendu service en sauvant ta bicyclette et, au lieu de la remercier, tu la taquines. »

La blondine parlait posément comme une petite femme. Philippe, un peu honteux mais toujours guidé par son amour-propre, salua avec un respect exagéré :

« Mademoiselle, je suis désolé de vous avoir offensée, je vais me taire puisqu’on n’a pas le droit de plaisanter. »

Il pirouetta sur ses talons et se mit à siffloter en marchant seul devant les fillettes qui suivaient le bord de la source, mais presque aussitôt il poussa un cri de surprise ;

« Tiens, Norbert a donc voulu me jouer un tour en m’assurant qu’il fallait descendre tout là-bas dans la plaine pour traverser la rivière ; si j’y vois clair, on peut la passer ici. »

Il courut un peu plus loin jusqu’à un vieux pont de pierre qui enjambait la Foux. Irène l’avait laissé faire sans mot dire et rit de sa mine déconfite. Une porte rustique fermait le passage près de l’autre rive.

« Tout cela est à nous, déclara-t-elle fièrement en caressant la mousse qui croissait entre les pierres disjointes, et la porte, mon grand-père l’a fait mettre quand il s’est fâché avec son beau-frère ; à présent, c’est tante Dor qui a la clef.

— Elle doit être bien rouillée si on ne s’en sert jamais, dit Nadine.

— Pas du tout ; chaque mois ma tante la prend et vient ici pour faire jouer la serrure.

— Comme son père ? interrogea Philippe en ajoutant un geste comique à sa question.

— Certainement ! et après tante Dor je ferai comme elle si… si… mais cela ne peut pas vous intéresser. J’aperçois votre machine contre l’arbre où je l’ai mise, allez voir ce qu’elle a de cassé. »

Le garçonnet suivit aussitôt ce conseil ; car la bicyclette, dernier cadeau de son père, était à ses yeux un objet précieux. Plein de sollicitude, il tâta les pneus pour s’assurer qu’ils n’étaient pas crevés, fit tourner les roues et fut, hélas ! obligé de constater que plusieurs rayons étaient brisés.

Pendant ce temps, assises sur un banc, les fillettes causaient.

« Ainsi, disait Irène qui, ne craignant plus les réponses ironiques de Philippe, parlait librement, vous connaissez ma cousine Marthe.

— Depuis ce matin. Mme Brial nous a permis de jouer ensemble toute la matinée : nous deviendrons de grandes amies.

— Elle doit être très gentille ?…

— Oh ! oui, mais pas plus que vous, fit Nadine, jetant un regard sur sa compagne ; pourtant, on ne devinerait jamais que vous êtes parentes.

— C’est tout simple, répliqua naïvement Irène ; M. Brial élève sa fille comme une petite demoiselle, sa maman lui apprend sans doute un tas de choses que tante Dor juge inutiles ; auprès d’elle on me prendrait pour une paysanne.

— Je ne trouve pas, moi ; je voulais seulement dire que vous êtes gaies et vives toutes les deux ; mais je crois qu’avant d’agir et de parler Marthe ne se donne pas la peine de réfléchir ; quand on joue, elle choisit tout de suite ce qui lui plaît, ce qui l’amuse, tandis que toi… je suis sûre que tu cherches toujours à faire plaisir aux autres. Tu avais l’air si heureuse en offrant le goûter… Tiens, voilà que j’ai dit « tu » sans y penser, comme cela, tout naturellement.

— Oh ! c’est plus joli ! exclama Irène en battant des mains ; pense donc, Nadine, que je n’ai ni un frère, ni une sœur, ni même une petite amie qui me tutoie ! Quel dommage que tu ne puisses pas devenir la mienne, seulement un peu, sans fâcher Marthe !

— Pourquoi pas ? C’est maman que cela regarde et non Marthe ; on peut avoir plu-